Il ne fait aucun doute que la plupart des propriétaires d’entreprise pourraient consacrer davantage de temps à la planification de leur relève et de leur fiscalité, et il existe d’ailleurs une raison d’y réfléchir qui rime avec 1,25 million de dollars, et ce chiffre n’a pas fini d’augmenter.
L’exonération cumulative des gains en capital (ECGC) peut être considérée comme un allègement fiscal substantiel destiné aux propriétaires d’entreprise qui ont contribué à l’économie canadienne pendant de nombreuses années de travail acharné. Cette exonération, qui est passée d’un peu moins de 1 million de dollars en 2023 à 1,25 million de dollars en juin 2024, est devenue encore plus intéressante cette année à la suite des changements apportés par Ottawa au taux d’inclusion des gains en capital. En effet, ce dernier est passé d’une demie aux deux tiers sur la portion des gains en capital réalisés au cours d’une année excédant 250 000 dollars pour les particuliers.
Le changement apporté à l’exonération vise à diminuer les répercussions de la hausse du taux d’inclusion des gains en capital pour les propriétaires d’entreprise qui vendent leur entreprise. John Waters, vice-président et directeur général, Services-conseils en fiscalité, BMO Gestion privée, aborde dans les paragraphes suivants les principaux questionnements entourant l’exonération et les avantages qu’elle offre aux propriétaires d’entreprise.
Qu’est-ce l’ECGC?
Il s’agit essentiellement d’un incitatif fiscal pour les particuliers vendant leur entreprise. Il existe diverses manières de vendre une entreprise, mais l’ECGC ne s’applique que pour les ventes qui répondent à des critères bien précis. En général, une entreprise est vendue sous forme d’actions, et ce type de vente est admissible à l’exonération des gains en capital. Une autre approche consiste à vendre les actifs sous-jacents au sein de la société, mais les propriétaires d’entreprise ne seraient pas admissibles à l’exonération. Pour être en mesure de profiter de l’ECGC, les propriétaires d’entreprise doivent donc réfléchir tôt à la manière dont ils vendront leur entreprise.
Quels critères de base les propriétaires d’entreprise doivent-ils remplir pour être admissibles à cette exonération?
Des critères très précis doivent être remplis par les propriétaires d’entreprise. D’abord, le vendeur doit être un particulier qui vend les actions d’une société exploitant une petite entreprise, un type de société privée sous contrôle canadien (SPCC). Si l’entreprise est vendue par une autre société, telle qu’une société de portefeuille, la vente ne sera pas admissible à l’exonération. L’entreprise doit également être une entreprise exploitée activement principalement au Canada, c’est-à-dire qu’elle doit produire des biens ou offrir des services professionnels, plutôt que de rapporter des revenus passifs tels que les revenus de location, les intérêts ou les dividendes. De plus, au moment de la vente, au moins 90 % de la juste valeur marchande de tous les actifs d’une entreprise exploitée activement doivent être utilisés dans les activités de celle-ci.
Il faut également remplir des critères similaires tout au long des deux années précédant la vente. En effet, au moins 50 % de la valeur marchande des actifs d’une entreprise exploitée activement doivent être utilisés dans les activités de celle-ci, et les actionnaires doivent rester les mêmes durant ces deux années. Par conséquent, il est important de planifier, soit au moins deux ans, la vente d’une entreprise.
Outre les critères liés à l’entreprise, il existe d’autres éléments à prendre en considération qui pourraient influencer l’admissibilité des particuliers souhaitant bénéficier de l’ECGC, tels qu’un recours à l’impôt minimum de remplacement (IMR) ou un historique de dépenses relatives aux placements supérieures aux revenus de placements.
Tandis qu’Ottawa a augmenté le taux d’inclusion des gains en capital afin d’accroître les impôts sur les gains élevés, le gouvernement a fait passer le plafond de l’ECGC de 1 million de dollars à 1,25 million de dollars. Quelle est la motivation derrière cette décision et quelles en sont les conséquences pour les propriétaires d’entreprise?
À la suite de l’augmentation du taux d’inclusion qui s’applique sur les gains en capital excédant 250 000 dollars réalisés par les particuliers, le gouvernement a également augmenté le montant de l’exonération, et ce, à compter de juin 2024, dans l’objectif de protéger les propriétaires d’entreprise. Ce qu’il faut en retenir, c’est que la valeur de l’exonération a augmenté en raison du taux d’inclusion des gains en capital. Sans l’ECGC, les propriétaires d’entreprise feraient face à un niveau d’imposition plus élevé qu’auparavant.
Lorsque l’exonération était d’environ 1 million de dollars, elle permettait une économie d’impôt allant jusqu’à 27 % aux taux d’imposition les plus élevés, soit environ 270 000 dollars, selon la province de résidence. Désormais, aux taux d’imposition les plus élevés et à un taux d’inclusion de deux tiers, elle est bien plus intéressante, atteignant environ 450 000 dollars, soit 36 %.
Qui est le plus avantagé par l’ECGC?
Les propriétaires de petites entreprises sont ceux qui peuvent en profiter le plus, tandis que pour les grandes sociétés privées valant des dizaines de millions, les économies d’impôt réalisées grâce à l’ECGC ne sont pas aussi substantielles, puisque l’exonération touche une moins grande partie des gains en capital réalisés lors d’une vente.
Quelles sont les stratégies que les propriétaires d’entreprise peuvent employer pour assurer l’admissibilité à l’exonération?Plusieurs stratégies sont souvent évoquées lorsqu’il est question de l’ECGC. La première est la « purification », qui consiste à entreprendre des démarches pour s’assurer que la majorité des actifs d’une entreprise exploitée activement sont utilisés dans les activités de celle-ci. Par exemple, si un propriétaire d’entreprise possède un placement non relié à l’exploitation de l’entreprise, il peut les utiliser afin d’acheter des actifs qui touchent directement les activités de l’entreprise, tel que de l’équipement, aux fins d’admissibilité à l’ECGC. Il vaut mieux commencer deux ans avant la vente d’une entreprise à se débarrasser des actifs passifs afin d’être en mesure de satisfaire les exigences strictes.
Une autre stratégie est la « multiplication » de l’ECGC. Si un propriétaire d’une entreprise prospère réalise un gain dépassant de beaucoup les 1,25 million de dollars qu’il peut exonérer à lui seul, il peut tirer parti de l’exonération de chacun des membres de sa famille. Pour y parvenir, il peut inclure les membres de sa famille dans la structure de propriété de l’entreprise, et ce, idéalement lors de la création de l’entreprise, afin qu’ils puissent détenir des actions au moment de l’éventuelle vente de l’entreprise. Souvent, cela se fait par l’intermédiaire d’une fiducie familiale, surtout lorsque des mineurs sont impliqués. La fiducie devient alors propriétaire des actions, puis le gain qu’elle réalise peut être distribué aux bénéficiaires. Malheureusement, dans le cas d’une entreprise existante, il n’est pas possible de simplement s’offrir les gains accumulés en cadeau; il faut plutôt se lancer dans une démarche de gel successoral afin de transférer la croissance future de la valeur à d’autres membres de sa famille. Pour que cette stratégie soit efficace, il faut faire preuve de prévoyance et la mettre en œuvre tôt; il peut être difficile de s’y prendre un an ou deux avant la vente, car la valeur n’aura pas beaucoup augmenté.
La dernière stratégie est ce qu’on appelle la « cristallisation ». Elle est utile lorsqu’un propriétaire d’entreprise n’est pas encore prêt à se départir ou à vendre son entreprise, mais qu’il souhaite tout de même accéder à l’exonération des gains en capital, par exemple, parce qu’il craint que l’entreprise ne soit pas admissible à l’avenir. Pour ce faire, il peut réorganiser la structure de propriété, par exemple, dans le cadre d’un gel successoral, et déclencher un gain en capital, qu’il est possible de mettre à l’abri grâce à l’exonération. En revanche, le coût de base des actions acquises à nouveau sera plus élevé, de sorte que le gain en capital sera moins élevé lors de la vente de l’entreprise à un tiers.
Un propriétaire d’entreprise peut bien vouloir vendre les actions de son entreprise, mais est-ce toujours dans l’intérêt de l’acheteur?
Souvent, les acheteurs gagnent à acheter des actifs spécifiques plutôt que des actions, qui englobent l’ensemble de l’entreprise. De l’autre côté de la médaille, les vendeurs veulent généralement vendre les actions afin de vendre toute l’entreprise et de passer à autre chose et ils cherchent à bénéficier de l’exonération des gains en capital. La position de chaque partie est donc à des opposés, ce qui prépare le terrain pour les négociations.
Si un particulier a déjà demandé l’exonération lors de la vente d’une entreprise auparavant, peut-il la demander à nouveau pour la vente d’une autre entreprise?
Il s’agit d’une exonération cumulative tout au long de la vie d’un particulier. Jusqu’en 2007, par exemple, le montant n’était que de 500 000 dollars, alors logiquement, si un particulier a vendu son entreprise à cette période et qu’il a utilisé 500 000 dollars, il aurait droit à un montant supplémentaire de 750 000 dollars comme l’exonération est actuellement de 1,25 million de dollars. En outre, l’exonération continuera d’augmenter et sera indexée à l’inflation à compter de 2026. Cela dit, si vous avez demandé l’ECGC au cours des dernières années, il faudra un certain temps pour revenir à un montant d’exonération cumulative disponible substantiel.
Y a-t-il une erreur que la plupart des propriétaires d’entreprise commettent?
Beaucoup de propriétaires d’entreprise ne commencent pas assez tôt la planification de ces arrangements. En fait, ils s’y prennent souvent à la dernière minute. Il est très important de penser à l’avenir lors de la création et de la planification de la structure d’une entreprise. Dans le meilleur des mondes, tous les membres de la famille devraient être actionnaires : ce peut être de manière indirecte par l’intermédiaire d’une fiducie, au moment de la création de l’entreprise ou peu de temps après.
Beaucoup de propriétaires d’entreprise sont venus nous voir trop tard dans le processus. Ils sont tellement passionnés par leurs entreprises qu’ils se concentrent sur leurs activités et ne voient pas venir la vente de leur entreprise ou bien leur retraite. La gestion de leur entreprise peut prendre le dessus sur tous les aspects de leur vie, souvent au détriment de la planification fiscale, financière et de leur patrimoine, mais il est important de prendre le temps de réfléchir à ces stratégies de planification à long terme.