Lorsqu’Ottawa présentera le budget fédéral le 4 novembre, 564 jours se seront écoulés depuis que les Canadiens ont reçu pour la dernière fois une ventilation complète des dépenses prévues du gouvernement. Beaucoup de choses ont changé depuis. Les Canadiens ont élu un nouveau premier ministre, les Américains ont ramené Donald Trump à la Maison-Blanche, les taux d’intérêt ont reculé et la hausse des droits de douane américains a déséquilibré des décennies de relations commerciales bien établies.
Ottawa a déjà pris plusieurs mesures fiscales cette année : il a proposé d’éliminer complètement la TPS sur l’achat de nouvelles maisons jusqu’à 1 million de dollars pour les acheteurs d’une première maison, supprimé la taxe sur le carbone, augmenté les dépenses en défense et réduit les taux d’imposition sur le revenu des particuliers. Compte tenu de la multitude de nouvelles mesures, Doug Porter, économiste en chef de BMO, se demande combien d’autres mesures peuvent encore être annoncées. « Il s’est passé beaucoup de choses en très peu de temps, déclare-t-il. Il y a beaucoup à faire pour déterminer ce que tout cela signifie ultimement. »
Pourtant, le ministre des Finances, François-Philippe Champagne, souligne l’importance de ce budget. Dans une récente entrevue télévisée, M. Champagne a affirmé que le Canada doit faire des investissements générationnels pour être moins dépendant, plus résilient et assurer la prospérité de notre nation.
Comment le budget du gouvernement fédéral tiendra-t-il compte de ce contexte en évolution ? Voici quelques-uns des principaux thèmes à surveiller :
Taxes d’affaires
Que les Canadiens obtiennent une déclaration de politique audacieuse ou l’annonce d’un remaniement des initiatives existantes, M. Porter estime que la priorité absolue d’Ottawa devrait être d’alléger la charge fiscale des entreprises. « Alors que nous sommes attaqués sur notre marché le plus important, nous devons rester concurrentiels, affirme-t-il. Dans un contexte de si grande incertitude, nous devons faire en sorte que notre territoire soit aussi attrayant que possible pour les investisseurs. »
L’une des approches serait d’augmenter les diverses déductions pour amortissement. Bien que des dispositions visant à améliorer la déduction de ces coûts soient déjà en place, M. Porter note qu’elles ne sont pas aussi généreuses que celles qui sont prévues dans la One Big Beautiful Bill Act récemment adoptée par les États-Unis.
Le gouvernement pourrait selon lui immédiatement changer la donne pour les entreprises canadiennes en réduisant le taux d’imposition de base des sociétés d’un point de pourcentage. « Cela montrerait que le Canada est ouvert aux affaires et qu’il y a eu changement d’administration, note-t-il. Le premier ministre Mark Carney est beaucoup plus favorable aux entreprises que l’ancien premier ministre. »
Selon Dante Rossi, directeur général, Planification fiscale de BMO Gestion privée, une autre mesure susceptible d’avoir un impact immédiat serait de prolonger la règle arrivant à échéance qui permet aux entreprises de passer immédiatement en dépenses jusqu’à 1,5 million de dollars de certaines immobilisations. Le secteur manufacturier, l’équipement de transformation et les technologies d’énergie propre bénéficieraient le plus d’une extension, explique-t-il.
Investir dans la propriété intellectuelle
En étudiant le programme du parti libéral, M. Rossi se demande si Ottawa profitera du budget pour faire la lumière sur son projet d’introduire un « régime privilégié des brevets » pour favoriser la commercialisation et le maintien de la propriété intellectuelle issue de la recherche et du développement au Canada. Il s’agirait en fait d’offrir un taux d’imposition préférentiel sur les revenus tirés de la propriété intellectuelle.
Le gouvernement contemple l’idée depuis plusieurs années. Un document de consultation publié par le gouvernement au début de l’année 2024 note que « les entreprises qui détiennent des brevets connaissent une croissance plus rapide et paient des salaires supérieurs. Le Canada accuse toutefois un retard en ce qui concerne le nombre de brevets détenus par rapport à d’autres pays auxquels il fait concurrence pour attirer l’investissement et assurer la croissance de l’économie. »
Logement
En ce qui concerne le logement, il a été question de réintroduire une idée des années 1970 consistant à offrir des incitatifs fiscaux pour les immeubles résidentiels à logements multiples afin de stimuler la croissance de la construction de logements locatifs, explique M. Rossi. Le gouvernement pourrait ainsi offrir des incitatifs aux investisseurs et aux propriétaires de ces immeubles sous la forme d’une amélioration ou d’une accélération du remboursement des charges fiscales.
Le gouvernement pourrait également introduire un report des gains en capital sur la vente de biens immobiliers par des organismes sans but lucratif d’habitation ou des fiducies foncières, à condition qu’elles réinvestissent le produit de la vente dans des biens locatifs construits à cet effet.
Simples fiducies
Près d’un an après que l’Agence du revenu du Canada a annoncé que les simples fiducies ne seraient pas tenues de produire de déclaration de revenus pour 2024, ces fiducies reviennent sur le devant de la scène. En tant que forme de propriété, la simple fiducie est une structure juridique dans laquelle un fiduciaire détient le titre légal d’un bien au profit d’un bénéficiaire, qui est le propriétaire réel et qui a plein contrôle et pleine autorité sur le bien. Alors que les simples fiducies ont généralement été ignorées sur le plan fiscal, des règles de déclaration d’information ont été proposées pour les obliger à déposer une déclaration annuelle.
En août, le gouvernement a publié un projet de loi révisé comprenant des critères actualisés qui obligeraient les simples fiducies à produire des déclarations de revenus, explique-t-il. « Il essaie de trouver le bon équilibre entre ceux qui doivent produire une déclaration et ceux qui en sont exemptés », explique-t-il.
Retarder les retraits d’un FERR
Alors que les Canadiens mènent une vie plus dynamique et plus saine, Ottawa pourrait être disposé à modifier certaines règles régissant l’épargne-retraite et les programmes d’aide aux personnes âgées. L’un des changements possibles pourrait être de rajuster les taux de retrait des fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR), explique M. Rossi. Il pourrait prendre la forme d’une réduction du taux qui détermine le montant que les Canadiens doivent retirer chaque année ou par un prolongement du délai ou un report de l’âge auquel il faut transformer un REER en FERR.
Déficit croissant
Quoi qu’il arrive, une chose est sûre : le déficit sera plus élevé. Au début de l’année, il était estimé à environ 60 milliards de dollars, compte non tenu des dépenses supplémentaires en défense, précise M. Porter. Bien qu’il n’y ait pas d’estimation consensuelle du déficit, le directeur parlementaire du budget canadien, qui fournit des analyses économiques et financières indépendantes au Parlement canadien, a récemment signalé que le déficit pourrait atteindre 68,5 milliards de dollars, comparativement à 57,1 milliards de dollars l’année dernière. Cela pourrait faire pression sur le gouvernement pour qu’il retarde certains des projets qu’il a présentés lors des élections.
À venir
Bien que les mesures que le gouvernement pourrait introduire le 4 novembre ne manquent pas, M. Porter note que le premier ministre Mark Carney a promis de limiter les dépenses, ce qui pourrait inclure des compressions pour les programmes existants en vue de financer tout nouveau plan de dépenses.
M. Porter espère que le ministre des Finances s’engagera à procéder à un examen approfondi de la politique fiscale lorsqu’il se présentera devant la Chambre des communes. La dernière révision remonte à près de 60 ans, le moment est donc venu, estime-t-il, surtout si l’on tient compte de la complexité croissante du code fiscal.
« Tout le monde sait que cela prendrait des années, note M. Porter. Mais il n’y a pas de meilleur moment que maintenant pour planter un arbre. »