Entreprises et investisseurs risquent de devoir composer avec une conjoncture économique marquée par un ralentissement de la croissance et par une hausse de l’inflation, compte tenu de la nouvelle salve tarifaire annoncée par les États-Unis, qui n’épargnera à peu près aucun de leurs partenaires commerciaux. Si le Canada et le Mexique échappent à cette nouvelle vague de droits de douane, l’impact sur les marchés mondiaux se fait cruellement sentir.
Le 2 avril, le président Trump a, depuis la roseraie de la Maison-Blanche, annoncé l’imposition d’une taxe de base de 10 % sur l’ensemble des importations en provenance de tous les pays. Le taux est plus élevé pour des dizaines de pays en situation d’excédent commercial avec les États-Unis. Les nouveaux droits de douane seront par exemple de 20 % pour l’Union européenne et de 34 % pour la Chine; dans ce dernier cas, le nouveau pourcentage s’ajoute aux droits de douane de 20 % sur les importations chinoises annoncés plus tôt cette année.
Pour mieux comprendre les retombées de ces droits de douane sur l’économie et les marchés, ainsi que sur les prévisions à court et à long terme, Michael Miranda, CFA, chef, Placements, BMO Gestion privée Amérique du Nord, s’est entretenu avec Michael Gregory, économiste en chef délégué, BMO Marchés des capitaux et avec Yung-Yu Ma, Ph. D., chef des placements, BMO Gestion de patrimoine, États-Unis.
Les droits de douane risquent d’attiser l’inflation et de freiner la croissance
Avant les droits de douane mis en place en février, les États-Unis appliquaient une taxe de moins de 3 % en moyenne sur les importations; ce chiffre devrait maintenant dépasser les 20 %, selon Michael Gregory. « C’est une augmentation substantielle qui aura un impact énorme sur l’économie », explique-t-il.
BMO a en conséquence abaissé ses prévisions de croissance à 0,6 % pour les États-Unis en 2025 et s’attend à ce que l’inflation de base selon les dépenses personnelles de consommation (indicateur suivi de près par la Réserve fédérale) augmente à 4 %. « L’économie américaine se dirige clairement vers un épisode de stagflation », conclut-il.
À court terme, les biens importés quotidiennement, comme les produits périssables vont se ressentir immédiatement de la mise en place des nouveaux droits de douane; les effets sur les véhicules importés n’apparaîtront pour leur part que dans les prochaines données sur l’IPC, explique M. Gregory. Les nouvelles perspectives d’évolution de l’inflation et de la croissance plaident en faveur d’une intervention de la Fed de nature à amortir le choc, mais son président, Jerome Powell, a déjà indiqué qu’il préférait attendre.
Le Canada et le Mexique ont certes été épargnés par la dernière salve tarifaire, mais les droits de douane précédents commencent déjà à peser sur leurs perspectives de croissance. Les pressions inflationnistes induites par les droits de douane ne seront pas aussi prononcées au Canada qu’aux États-Unis, dans la mesure où l’économie canadienne exporte aux États-Unis beaucoup plus qu’elle n’importe. BMO s’attend désormais à ce que l’économie se contracte de 0,7 %, alors qu’elle misait précédemment sur une croissance de 1,6 %.
La réaction du marché
L’impact des droits de douane déborde sur les marchés boursiers, explique Yung-Yu Ma. Au vu de l’effondrement des derniers jours, il estime que le marché anticipe désormais des droits de douane généraux de 15 %.
« Les scénarios les plus négatifs ne sont pas encore intégrés aux cours, mais les plus favorables ne le sont pas non plus », note-t-il. Le marché cherche actuellement à déterminer combien de temps les droits de douane pourront se maintenir à ces niveaux.
Comme M. Gregory, M. Ma ne s’attend pas à ce que la Fed vienne à la rescousse face à la hausse de l’inflation attendue à court terme. Il estime que la banque centrale voudra probablement attendre d’autres signes, comme un essoufflement du marché du travail; il y a toutefois à son avis peu de chances que ces signes se manifestent réellement avant l’été.
S’il comprend que les investisseurs s’inquiètent des droits de douane et de leurs soudaines répercussions, M. Ma estime que bien des choses pourraient changer d’ici l’été.
Craintes de récession
Le Canada et les États-Unis se ressentiront certes tous deux des droits de douane, mais MM. Ma et Gregory estiment qu’ils ne seront pas affectés de la même manière.
« Aux États-Unis, malgré les droits de douane, la récession n’est à notre avis pas le scénario le plus probable », indique M. Gregory, même s’il ne l’exclut pas totalement. Au Canada, il constate que les finances fédérales et provinciales sont relativement solides. Il s’attend à ce que les autorités mettent en place un certain nombre de mesures budgétaires pour venir en aide aux secteurs les plus touchés.
À plus long terme, M. Gregory reste prudent. Il est possible qu’à terme, les droits de douane ne soient finalement pas aussi élevés que ce qui vient d’être annoncé, mais l’incertitude provoquée par les décisions de politique commerciale des États-Unis risque de se faire sentir pendant un bon moment. « Tant que cette incertitude demeure, même si les droits de douane devaient baisser, les entreprises hésiteront à investir », affirme-t-il.
M. Ma estime lui aussi qu’il faut attendre de voir ce qui va se passer. « C’est difficile de faire abstraction de l’actualité, mais il y a tellement d’incertitude, tellement de facteurs en jeu », indique-t-il. Il faudra notamment voir, selon lui, l’ampleur de la résistance à laquelle la Maison-Blanche pourrait se retrouver confrontée parmi les membres républicains du Congrès, l’impact éventuel des contestations judiciaires sur la façon dont les droits de douane ont été imposés, et les ententes bilatérales que certains pays parviendront à conclure pour réduire les droits de douane.
« Les marchés ont à notre avis déjà intégré beaucoup de ces éléments, mais l’incertitude reste vive au quotidien », observe-t-il.
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