Personne ne s’imagine souhaiter un ralentissement économique, mais c’est pourtant ce que certains investisseurs ont fait au début de l’année, dans l’attente d’un répit face à une inflation galopante. Aujourd’hui, au sixième mois de l’année 2024, comment les perspectives économiques se dessinent-elles et que signifient-elles pour les marchés à partir de maintenant?
Telles étaient les questions centrales de la dernière séance de BMO sur les perspectives économiques et marché au cours de laquelle nous ont fait part de leurs réflexions Douglas Porter, économiste en chef de BMO, et Brent Joyce, stratège en chef, Placements, BMO Gestion privée de placements. Animée par Patrick Bartlett, président régional, BMO Gestion privée dans la région du Grand Toronto, la séance a commencé en posant la question qui préoccupe beaucoup d’investisseurs : Quand les coûts d’emprunt vont-ils baisser au Canada et aux États-Unis?
À quoi doit-on s’attendre en ce qui concerne les taux d’intérêt?
À mi-parcours dans l’année, l’inflation s’est suffisamment stabilisée dans la plupart des grandes économies développées pour permettre aux banques centrales de commencer à réduire les taux d’intérêt, a expliqué Douglas Porter. La baisse du prix de l’essence, associée à des augmentations plus faibles dans d’autres catégories de dépenses, a contribué à ralentir la hausse des coûts. C’est bon signe, a-t-il ajouté, que ce soit une inflation modérée plutôt qu’une croissance faible qui a donné lieu aux baisses de taux d’intérêt au Canada. Selon certaines rumeurs, la Banque du Canada (BDC), qui a abaissé les taux de 25 points de base en juin, pourrait les réduire de nouveau en juillet.
« Nous ne prévoyons pas officiellement de réduction des taux à cette date, a déclaré M. Porter, même s’il s’attend à ce que le cycle d’assouplissement des taux se poursuive graduellement au cours des 18 prochains mois. D’ici la fin de l’année prochaine, BMO prévoit que la Banque du Canada réduira ses taux de 150 points de base ou de 1,5 point de pourcentage.
Il en va autrement aux États-Unis, où l’inflation a été plus stable, en grande partie grâce à la vigueur de la consommation aux États-Unis. M. Porter a expliqué que l’endettement des ménages est plus élevé au Canada qu’aux États-Unis. « Bon nombre d’entre nous au Canada pensent que les États-Unis sont l’économie la plus endettée, mais ce n’est pas le cas, a-t-il dit. Les consommateurs américains se situent en fait sous la moyenne mondiale pour ce qui est du niveau d’endettement, alors que le Canada se situe dans la tranche supérieure. »
Le fait que les ménages canadiens soient plus endettés n’est pas le seul facteur, il y a aussi le fait que nous renouvelons plus rapidement les dettes hypothécaires ici, a déclaré M. Porter. Les Américains peuvent bloquer leur taux hypothécaire pendant 30 ans, alors que les Canadiens ont tendance à renégocier leur taux tous les cinq ans, voire moins. Néanmoins, la bonne santé du secteur de la consommation aux États-Unis commence à changer en raison du ralentissement de la croissance des ventes au détail, de l’affaiblissement du marché de l’emploi et de la baisse de l’activité sur le marché de l’habitation.
Compte tenu des divergences d’opinions entre les gouverneurs de la Réserve fédérale américaine (la Fed) sur l’économie, M. Porter a précisé que la banque centrale américaine ne pourrait réduire les taux qu’une ou deux fois cette année. « À notre avis, la première baisse pourrait avoir lieu en septembre », a déclaré M. Porter, reconnaissant qu’il pourrait s’agir d’un moment politiquement délicat, étant donné qu’il s’agirait de la dernière réunion de la Fed avant les élections de novembre. « Nous croyons qu’au bout du compte, la Fed prendra les meilleures décisions pour l’économie, indépendamment des considérations électorales, car l’économie américaine commence enfin à montrer des signes d’essoufflement. »
Perspectives du marché
Un ralentissement, et non un effondrement, tel est l’un des messages que Brent Joyce a voulu mettre en avant à propos de l’état de l’économie au cours des six derniers mois. Même si une récession au Canada et aux États-Unis n’est pas totalement exclue, il semble plus probable que les deux économies connaissent un atterrissage en douceur.
Néanmoins, si le Canada et les États-Unis ont évité une récession technique, c’est-à-dire deux trimestres consécutifs de croissance négative, M. Joyce estime que la crainte d’une récession a incité les entreprises à se comporter comme si elles étaient en récession. Maintenant que ces pays ont probablement atteint le creux de la vague en ce qui a trait aux dépenses publiques et au marché de l’habitation, M. Joyce pense que cela commencera à stimuler les bénéfices des entreprises.
Les entreprises ont également tendance à gagner en efficacité en période de récession, de sorte qu’au sortir de cette période économique difficile, M. Joyce s’attend à ce que la demande des consommateurs reprenne en dehors des États-Unis et à ce que la croissance des bénéfices s’en trouve stimulée. Il reste toutefois prudent quant à l’ampleur de la remontée des bénéfices. « Il ne s’agira pas d’une reprise de 25 ou 30 % de la croissance des bénéfices, comme ce serait le cas en situation de récession, a-t-il précisé. Mais il s’agit au moins d’un retour à une croissance normale des bénéfices, peut-être un peu plus de l’ordre de 10 à 12 %. »
Si ce scénario se concrétise, les actions en profiteront, a-t-il expliqué. Les rendements obligataires, quant à eux, commencent à reculer. Même s’ils se maintiennent, M. Joyce fait remarquer qu’ils ont déjà fortement baissé au cours des derniers mois.
En décembre, M. Joyce et son équipe prévoyaient un rendement total des actions canadiennes se situant entre 10 et 12 % pour l’année. Même si l’indice composé S&P/TSX est bien en deçà de cette marque, il maintient toujours ses prévisions. Pour que cela se produise, il faudrait que le marché américain délaisse les titres technologiques à très grande capitalisation qui sont à l’origine de la majeure partie du rendement du marché. En prévision de cela, BMO a placé plus d’argent auprès de gestionnaires actifs qui peuvent sous-pondérer certains des secteurs les plus coûteux du marché.
Toutefois, M. Joyce hésite à exclure totalement le scénario d’un atterrissage brutal. Si les marchés estiment que les banques centrales ont attendu trop longtemps avant de réduire leurs taux, cela pourrait encore déclencher une récession, quoique de courte durée. Si cela devait se produire, il y verrait une occasion d’achat. « C’est le moment idéal pour être un investisseur, en particulier un investisseur équilibré », a-t-il ajouté.
Le huard va-t-il plonger ou s’envoler?
Les banques centrales canadienne et américaine suivent des voies divergentes en matière de taux d’intérêt, ce qui a suscité quelques questions lors de la session, à savoir si cela pourrait affaiblir le huard, qui oscille entre 72 et 75 cents depuis la fin de l’année 2022. M. Porter a fait remarquer que le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a récemment balayé toute inquiétude concernant le dollar. Il y a des limites à l’écart que la Banque du Canada peut avoir par rapport à son pendant américain, mais nous n’en sommes pas encore là.
« Selon nous, la banque peut réduire les taux de manière indépendante une fois de plus sans provoquer de sérieuses pressions à la baisse sur le dollar canadien, a déclaré M. Porter. Si elle devait aller au-delà, nous pensons que le dollar canadien tomberait sous la barre des 70 cents. »
Dans les années à venir, il est plus probable que le dollar américain perde de sa force dans le cadre d’un mouvement cyclique qui se déclenchera lorsque la Fed commencera à baisser les taux d’intérêt. « Si le dollar américain a été si vigoureux ces dernières années, c’est notamment parce que l’économie américaine a été exceptionnelle, a déclaré M. Porter. Les choses vont changer au cours de l’année prochaine et nous avons déjà commencé à voir ces surprises à la hausse s’estomper aux États-Unis. »
Tracer la voie à suivre
Certaines des questions posées par l’auditoire portaient sur la sous-performance de la plupart des grands marchés. En réponse, M. Joyce a exhorté les investisseurs à ne pas tenir compte de la faiblesse à court terme. « Il est facile de chercher la bête noire lorsque les marchés s’effondrent pendant quelques semaines, a-t-il déclaré. Nous assistons simplement à un certain ralentissement. »
Les investisseurs s’inquiètent également de l’élection présidentielle américaine de novembre et de l’incidence que cela pourrait avoir sur les relations entre le Canada et les États-Unis. L’AEUMC, qui doit être réexaminé en 2026, est particulièrement au cœur des préoccupations. Depuis la signature de l’accord, les excédents commerciaux du Canada et du Mexique avec les États-Unis ont augmenté. Si Donald Trump revient au pouvoir, M. Porter a déclaré qu’il craignait que le Canada et le Mexique ne bénéficient pas d’un passe-droit. Toutefois, a ajouté M. Joyce, le fait que l’accord ait été négocié par son administration pourrait signifier que l’on aura moins besoin d’une révision majeure, un élément qui a été récemment réitéré lors du sommet Canada-États-Unis très médiatisé organisé conjointement par BMO et Eurasia Group.
Dans l’ensemble, l’évolution de la situation économique mondiale est favorable. « L’une des meilleures nouvelles que nous ayons reçues est que, ici au Canada et dans le monde entier, l’inflation a vraiment diminué au point que de nombreuses banques centrales sont prêtes à baisser leurs taux d’intérêt, et ce, sans qu’il y ait eu de récession à proprement parler, a déclaré M. Porter. Il s’agit en fait d’une bonne nouvelle, et l’on s’attend certainement à ce que l’inflation ralentisse davantage au deuxième semestre de cette année. »