Lorsque le mari de Carol Ann Noble est décédé en 2016, elle s’est trouvée engagée dans une bataille judiciaire avec Apple. Selon un reportage de CBC à l’époque, la résidente de Victoria a dû traîner le géant de la technologie devant les tribunaux pour avoir accès aux fichiers numériques que le couple partageait depuis des années par l’intermédiaire de son compte. Elle n’avait pas le mot de passe et, à sa surprise, une copie notariée de l’acte de décès de son mari n’était pas suffisante pour l’obtenir. Elle n’avait pas pensé à demander à son mari ses identifiants avant son décès.
Beaucoup de gens pensent à la planification successorale en fonction d’actifs traditionnels comme les portefeuilles de placement, les maisons, les œuvres d’art, les véhicules et le chalet familial. Toutefois, avec nos vies qui deviennent de plus en plus numériques, il est également important d’inclure les actifs en ligne. Pensez à vos programmes de fidélisation, à vos comptes d’achats en ligne, à la propriété intellectuelle, aux cryptomonnaies et aux jetons non fongibles (JNF), sans parler de vos profils de médias sociaux.
Prise cumulativement, la valeur de ces actifs peut être particulièrement élevée. Bien qu’il n’y ait pas beaucoup de données sur la valeur des actifs numériques canadiens, un récent sondage mené aux États-Unis par la Bryn Mawr Trust a révélé que l’Américain moyen estime que ses actifs numériques valent plus de 190 000 $ US.
Malgré la valeur croissante de ces actifs, beaucoup de gens ne planifient pas ce qu’il adviendra de ces comptes après leur décès, explique Carol Willes, directrice générale, Planification successorale à BMO Gestion privée. « Il est facile de les oublier, mais il faut les prendre en compte », explique-t-elle, surtout compte tenu de la montée des cryptomonnaies, dont disposent environ 10 % des Canadiens. « J’utilise souvent l’analogie de Daniel Nelson qui compare les actifs numériques à l’eau : ils sont fluides, constamment en mouvement et, si vous ne faites pas attention, ils peuvent vous glisser entre les doigts. »
Comme les actifs numériques n’existent pas dans le monde physique, il est difficile pour les liquidateurs d’en faire le suivi. Votre famille n’est peut-être même pas au courant de votre réserve de Bitcoin, et même si elle l’est, elle ne peut y toucher si elle n’a pas reçu de mots de passe ou de clés. Lors d’une récente rencontre que Mme Willes a eue avec un couple qui planifiait ses successions, le mari s’est rendu compte qu’il n’avait jamais parlé à sa femme d’un placement de 5 millions de dollars en cryptomonnaie, ni ne lui avait dit comment trouver sa clé permettant d’y accéder. « Il n’essayait pas de lui cacher la situation, dit Mme Willes. Il pensait simplement qu’elle ne serait pas intéressée, et il n’avait pas réfléchi à ce qui se passerait à son décès. »
Comme la plupart des actifs numériques sont protégés par mot de passe, et que leur accès nécessite une authentification multifactorielle, il est essentiel de planifier le tout. Il est important de transmettre ces renseignements à vos professionnels en planification successorale afin qu’ils puissent vous aider à élaborer un plan complet pour vos placements numériques. Ce processus commence par ces étapes importantes :
Cataloguez vos actifs et vos mots de passe
Les actifs numériques ne laissent pas de trace écrite, de sorte qu’une liste est un outil essentiel pour la personne que vous nommez pour gérer vos affaires. Assurez-vous d’inclure tous les comptes, services et abonnements numériques, les programmes de fidélisation, les profils de médias sociaux, les cryptomonnaies et les actifs de jeux vidéo, ainsi que les mots de passe nécessaires pour y accéder. La propriété intellectuelle doit également être inscrite, conseille Mme Willes, y compris les brevets, les dessins industriels, les droits d’auteur et les marques de commerce.
Conservez une copie imprimée de cette liste séparément de votre testament (ou, à tout le moins, gardez les mots de passe séparés, car les testaments homologués sont accessibles au public) et conservez-la dans un endroit sûr. Les planificateurs successoraux peuvent la conserver, ou il est possible de la stocker dans un compartiment de coffre ou à n’importe quel endroit où vous conservez des objets physiques de valeur. Il existe également des plateformes tierces qui stockent des mots de passe en ligne, mais Mme Willes prévient qu’elles comportent parfois des risques (voir la section « Passez en revue vos contrats actuels » ci-dessous).
Désignez un liquidateur de vos actifs numériques
Réfléchissez attentivement à qui est le mieux outillé pour gérer vos actifs numériques après votre décès. S’il s’agit de votre conjoint ou d’un ami de la famille, assurez-vous qu’il possède les compétences technologiques et spécialisées nécessaires pour accéder à tous vos actifs de valeur et les gérer adéquatement. « Ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec cela », explique Mme Willes.
Votre liquidateur pour vos actifs numériques n’a pas besoin d’être la même personne que vous avez choisie pour gérer le reste de votre succession. S’il s’agit d’une personne différente, Mme Willes recommande de la nommer coliquidatrice ou mandataire dans votre testament afin qu’elle puisse travailler avec le liquidateur principal pour respecter vos volontés.
Une fois que vous avez choisi un liquidateur pour vos actifs numériques, montrez-lui votre catalogue d’actifs afin qu’il soit prêt pour ce qui est à venir. « Vous ne voulez pas que la personne soit surprise ou qu’elle découvre quelque chose qu’elle ne sait pas comment gérer. Lui présenter la situation à l’avance lui donne l’occasion de vous indiquer si elle ne pense pas être la bonne personne pour le poste. »
Passez en revue vos contrats actuels
C’est une étape qui prend du temps, mais qui est importante, car il n’y a pas de loi générale régissant les actifs numériques et leur transmission. Par exemple, Apple permet aux titulaires de compte de désigner un contact légataire qui pourra accéder à leurs comptes après leur décès. Les courriels, les vidéos et les photos peuvent n’avoir aucune valeur financière, mais ils ont une grande valeur sentimentale et ne sont pas accessibles sans la désignation d’un contact légataire attitré.
En ce qui concerne les programmes de fidélisation, certains permettent le transfert des récompenses aux bénéficiaires, d’autres le permettent à la discrétion d’une entreprise, tandis que pour d’autres programmes les comptes sont automatiquement fermés. Il est avantageux de lire les petits caractères dès maintenant pour déterminer ce que vous pouvez transmettre et comment le faire.
Si vous utilisez une plateforme tierce pour stocker des mots de passe, vérifiez les modalités du fournisseur pour vous assurer que c’est permis en vertu du contrat associé à chaque actif. Selon Mme Willes, l’utilisation de coffres-forts de tiers peut être considérée comme un manquement à un contrat.
N’oubliez pas votre téléphone
L’authentification multifactorielle est une exigence de sécurité pour de nombreux comptes de nos jours. Dans la plupart des cas, cela signifie que votre liquidateur devra accéder à votre téléphone pour lire un code de sécurité ou un NIP. Assurez-vous d’inclure (et de mettre à jour régulièrement) le mot de passe de votre téléphone dans votre liste. Selon Mme Willes, de nombreuses personnes ne pensent pas à ce mot de passe, et comme il change souvent, il est fréquent d’en avoir une version désuète dans ses dossiers.
Passez régulièrement en revue vos actifs et vos mots de passe
Idéalement, vous devriez mettre à jour votre liste chaque fois que vous modifiez un mot de passe, mais pour la plupart des gens, c’est irréaliste. Trouvez un horaire qui vous convient et ajoutez des rappels à votre calendrier pour ne pas oublier. Au minimum, passez en revue votre liste chaque année.
« Cela peut sembler fastidieux, explique Mme Willes, mais n’oubliez pas que vos proches pourraient devoir accéder à vos plateformes numériques et que, s’ils ne le peuvent pas, des choses importantes – financières ou sentimentales – pourraient être perdues à jamais. »