Insomnie, brouillard mental, irritabilité… La santé mentale des femmes est parfois durement éprouvée, en particulier lors des phases de changements hormonaux comme la ménopause. Encore aujourd’hui, le milieu médical associe souvent – et à tort – ces symptômes à la dépression. La solution : la mise au point de traitements spécifiques à ces conditions qui touchent nombre de femmes. Or, à l’heure actuelle, combien d'essais cliniques au Canada évaluent des approches thérapeutiques visant la santé mentale des femmes en ménopause ? Une seule. Vous avez bien lu, une seule...
À l’occasion d’une conférence intitulée « Favoriser la réussite et la santé mentale des femmes », présentée le 10 octobre dernier par BMO Gestion privée, trois panélistes ont fait part de leurs expériences en lien avec la santé mentale, tant dans le secteur de la science que dans celui des affaires. Les discussions, franches et animées, ont vite bifurqué vers la ménopause, et ont trouvé une oreille attentive auprès de l’auditoire – majoritairement féminin.
Ce déjeuner-causerie s’inscrit dans la volonté de BMO de favoriser l’avancement des femmes dans l’entreprise. « Au Québec, l’équipe de direction de la banque est composée de 60 % de femmes », signale avec fierté Mario Rigante, président régional pour BMO Gestion privée pour l’Est du Canada. Mieux encore, la BMO fait partie de la dizaine de sociétés dans le monde qui ont remporté deux prix Catalyst, qui vient reconnaître les efforts consacrés entre autres à la progression des femmes dans le milieu du travail.
Prendre soin de celles qui s’occupent de nous
D’entrée de jeu, la coach, entrepreneure et autrice Cloé Caron, animatrice de la rencontre, a lancé les discussions en citant une donnée qui a suscité des murmures dans l’assistance : à peine 3 % ou 4 % de l’ensemble des recherches en santé se concentrent spécifiquement sur les femmes.
La chose n’est pas sans conséquences, estime Dre Isabelle Boileau, scientifique principale au Centre d’imagerie de la santé cérébrale du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), à Toronto. « Le sexe et le genre sont des facteurs déterminants dans le domaine de la santé, dit la chercheuse. Et ne pas en tenir compte peut causer beaucoup de dommages. » Par exemple, il y a à peine 30 ans, la dépression post-partum n’était même pas reconnue, et les femmes souffraient en silence. Aujourd’hui, la stigmatisation qui l’entoure s’estompe, et des chercheurs s’y intéressent. Résultat : au lieu de traiter cette condition avec de simples antidépresseurs, les médecins disposent désormais de médicaments spécifiques qui sont approuvés aux États-Unis et le seront peut-être au Canada. « Qu’on soit passé en aussi peu de temps d’une maladie taboue et non reconnue au développement d’un médicament pour la traiter, c’est un pas énorme », souligne la chercheuse.
Ce médicament – dans la catégorie des neurostéroïdes – fait maintenant l’objet d’essais cliniques pour traiter aussi les troubles entourant la ménopause et la périménopause. « On tente de comprendre ce qui se passe dans le cerveau lors de cette période de changements hormonaux », ajoute Dre Boileau.
Pour la journaliste Julie Gobeil, rédactrice en chef du magazine Châtelaine, toutes ces recherches ont leur importance puisqu’elles pourront, à terme, aider les femmes à mieux se comprendre et à être mieux comprises. Surtout que la périménopause, qui dure environ 10 ans, arrive souvent au moment où les femmes ont réussi à gravir les échelons et occupent des postes importants au sein de leur entreprise. « Puis, tout d’un coup, les symptômes commencent », dit-elle, en citant la fameuse insomnie de 3 heures du matin.
Parmi les cinq symptômes les plus fréquents de la ménopause, trois touchent la santé mentale, révèle un sondage mené en 2023 par Châtelaine auprès de 200 femmes. L’insomnie en fait partie, mais également le brouillard mental – manque du mot, perte de mémoire, difficulté de concentration – ainsi que l’inévitable état qui en découle : l’irritabilité. « Sur ce dernier point, la société a tendance à nous faire culpabiliser, car une femme, c’est censé être gentil, et une maman, ça doit être compréhensif. Si ce n'est pas le cas, on est vite accusée de souffrir de mom rage – la rage de maman, dit-elle. Pourtant, quand un papa se fâche, dit-on qu’il souffre de dad rage ? »
Mieux se connaître pour mieux se comprendre
Ses conseils ? Dédramatiser ces symptômes et être bienveillante envers soi. Et si on a un conjoint, partager avec lui la charge mentale, car ce sont souvent les femmes qui la portent sur leurs épaules. « Et c’est pire lorsqu’on a des enfants. Ça vient en rajouter une couche », dit Julie Gobeil.Un constat que partage sans hésiter Isabelle Randez, directrice des communications chez L’Oréal Canada. L’insomnie, le brouillard mental, elle connaît. Elle ignore toutefois si ces symptômes sont attribuables à la périménopause ou au fait qu’elle a deux jeunes enfants et un mari qui travaille à l’étranger une semaine sur deux. Charge mentale, vous dites ? « J’ai toujours eu une mémoire d’éléphant. Mais maintenant, si je veux ne pas oublier quelque chose, je dois mettre des rappels dans mon agenda, dit-elle. Ma to-do list est longue comme le bras, au point où j’ai souvent l’impression de ne rien faire comme il faut. C’est devenu une source d’angoisse, d’anxiété. »
Pour aider les femmes – qui comptent pour 63 % du personnel – à bien vivre leur ménopause, L’Oréal Canada applique les conseils de la Société canadienne de ménopause. « Nous favorisons les accommodements pour que toutes les femmes puissent se présenter au travail en ayant le sentiment de donner leur meilleur. On offre des horaires souples, et on encourage une conversation saine autour des symptômes de la ménopause, pour la déstigmatiser et enlever les tabous », explique-t-elle.
Et peut-être aussi pour rassurer les femmes sur l’état de leur santé mentale. Car oublier un mot, perdre le fil de ses idées, ce n’est pas un signe de début de démence. Enfin, pas nécessairement, précise Dre Isabelle Boileau. « Ça dépend des cas. Est-ce que mes difficultés à fonctionner signifient que je me dirige vers la démence ou est-ce plutôt un symptôme de la périménopause ? On n’a pas encore la réponse claire, parce qu’il n’y a pas d’études longitudinales à ce sujet. C’est la raison pour laquelle il faut fouiller ce phénomène en profondeur, dit-elle, afin de faire la différence entre une pathologie et une chose tout à fait normale. »
Mais pour y arriver, il faudra commencer par y consacrer plus qu’une seule étude…