Les problèmes de santé mentale chez les jeunes ont pris de l’ampleur depuis le début la pandémie de COVID-19 et beaucoup se sentent isolés, stressés et anxieux. Les services auxquels ils pouvaient auparavant s’adresser pour les aider à gérer leur stress et leur anxiété sont désormais moins accessibles ou ont fermé leurs portes. Pour certains, la pandémie s’accompagne par ailleurs de nouvelles sources de stress, comme les conflits familiaux, l’insécurité alimentaire, l’anxiété sociale et le chômage. Beaucoup de jeunes se sentent en conséquence dépassés et n’ont nulle part ni personne vers qui se tourner. Pour certains, cela peut avoir des conséquences tragiques.
Dans ce contexte, nous avons récemment réuni des experts médicaux de premier plan pour discuter des difficultés rencontrées par les jeunes, des ressources disponibles et de ce que nous pouvons tous faire pour les aider à traverser cette période. Cette table ronde, animée par le Dr Michael Baker, professeur de médecine à l’Université de Toronto et ancien médecin en chef du University Health Network, a réuni la Dre Joanna Henderson, directrice générale de l’initiative Carrefours bien-être pour les jeunes du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) et professeure agrégée au Département de psychologie de l’Université de Toronto, la Dre Susan Abbey, psychiatre en chef au University Health Network et professeure de psychiatrie à l’Université de Toronto, et Mme Debbie Schatia, directrice des programmes de Covenant House et titulaire d’une maîtrise en travail social de l’Université de Toronto.
Nous vous proposons un résumé de la discussion.
La Dre Joanna Henderson explique que le Canada était déjà aux prises avec une crise de santé mentale avant la pandémie. Les enfants, les adolescents et les jeunes adultes sont les plus touchés. Selon un sondage d’Ipsos Reid, la moitié d’entre eux estiment que leur santé mentale s’est détériorée depuis le début de la pandémie. Le CAMH s’intéresse particulièrement à la question de l’isolement social. Il examine les enfants et les adolescents dans leur contexte familial, scolaire et communautaire, dans la mesure où ce qui affecte ces milieux affecte également les jeunes. Quand les adultes doivent faire face à des problèmes financiers, à des difficultés conjugales, à des problèmes d’alcoolisme et à d’autres facteurs de stress, l’impact est encore plus grand sur les jeunes qui vivent avec eux.
En partenariat avec des jeunes, le CAMH a mis au point de nouvelles façons d’offrir des services aux jeunes de 12 à 25 ans. L’organisme sort des sentiers battus pour trouver des solutions aux défis liés à la pandémie, comme des ressources pour permettre aux jeunes de se renseigner sur la fluidité des genres, sur les remèdes sacrés à base de plantes des autochtones et sur le recadrage positif. Il a récemment mis sur pied un groupe de thérapie comportementale dialectique de 12 semaines et organisé une collecte de téléphones cellulaires usagés.
La Dre Joanna Henderson observe que des systèmes de santé s’adressant aux jeunes jusqu’à 24 ou 25 ans sont en train de s’organiser pour les aider à accéder à des services adaptés à leur niveau de développement et à devenir autonomes, productifs et en bonne santé physique et mentale. Foundry BC et L’initiative des carrefours bien-être pour les jeunes de l’Ontario en sont deux bons exemples.
La Dre Susan Abbey s’intéresse aux jeunes en transition vers la vie adulte, soit les jeunes de 18 à 25 ans, qui développent de graves problèmes de santé. Ces jeunes sont plus susceptibles de développer des maladies auto-immunes (comme le lupus), de subir des blessures accidentelles (liées à la pratique d’activités risquées), de souffrir de certains cancers et d’accidents vasculaires cérébraux (pour des raisons qui ne sont pas bien comprises) et de consommer des drogues (ce qui peut entraîner des infections et des problèmes de dépendance).
Les jeunes de 18 à 25 ans ont des besoins en matière de santé mentale et physique, mais ils doivent aussi s’affirmer en tant qu’adultes.
La maladie mentale peut s’accompagner de dépression, d’anxiété et d’autres problèmes et vient souvent compliquer le diagnostic et le traitement des problèmes de santé.
Les jeunes de 18 à 25 ans les plus à risques sont ceux qui :
- Doivent passer des services ou des programmes de soins pédiatriques au système pour adultes, lequel attend d’eux qu’ils gèrent leurs difficultés médicales parfois complexes;
- Sortent du système de protection de l’enfance parce qu’ils ont dépassé l’âge limite;
- Présentent des problèmes de santé importants qui les ralentissent à un âge où ils veulent s’épanouir, faire des études et nouer des relations;
- Ont d’importants problèmes de santé mentale, comme un trouble bipolaire ou la schizophrénie, qui compliquent leur prise en charge médicale.
- Ne se conforment pas aux traitements prescrits et oublient de prendre leurs médicaments.
Dans ces conditions, les jeunes ont du mal à vivre la vie qu’ils veulent.
La Dre Susan Abbey estime qu’il faut développer un modèle dans lequel la santé mentale serait aussi importante que la santé physique et que les solutions doivent être élaborées conjointement par de jeunes adultes et des employés de première ligne, appuyés par un coordonnateur de programme formé, par des ressources en santé mentale et des groupes en ligne, et par du soutien par messagerie instantanée ou par texto.
Ça ne va pas (Everything is Not Okay en anglais) est une nouvelle campagne menée par Dépendances et santé mentale Ontario (AMHO), l’Association canadienne pour la santé mentale – Ontario (ACSM Ontario), le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), Santé mentale pour enfants Ontario (CMHO), le Centre des sciences de la santé mentale Ontario Shores, le Royal et le Centre de soins de santé mentale Waypoint. Le but de la campagne est de mettre fin aux longues listes d’attente et d’offrir un accès à des services d’hébergement et aux traitements contre la toxicomanie.
La Dre Joanna Henderson ajoute que l’objectif est que tous les jeunes de partout en Ontario sachent qu’il existe des services de qualité qui répondent à leurs besoins et auxquels ils peuvent avoir accès rapidement. Tout le monde a un rôle à jouer pour aider à repérer les jeunes en difficulté et à intervenir plus tôt.
Debbie Schatia explique ce qui se produit lorsqu’un jeune qui a des problèmes de santé mentale se retrouve en plus en situation d’itinérance. Au Canada, environ 35 000 jeunes par année et 6 000 chaque nuit se retrouvent sans abri, sans compter l’itinérance « cachée » de ceux qui parviennent à se faire héberger temporairement par des connaissances. Jusqu’à 35 % des jeunes suivis par Covenant House Toronto présentent un problème de santé mentale grave et complexe (bipolarité, schizophrénie ou trouble de la personnalité), et 60 % souffrent d’anxiété généralisée ou de dépression. Presque tous ont vécu des expériences négatives durant l’enfance (ENE), comme de la violence physique ou sexuelle, de la négligence et de la violence familiale avant l’âge de 18 ans. La moitié d’entre eux ont quitté la maison pour des motifs d’abus ou de violence.
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, Covenant House fonctionne à pleine capacité ou à peu près, les jeunes trouvant difficile de rester à la maison avec leurs parents ou d’y retourner. Le centre a dû fermer à la suite de l’imposition des mesures de distanciation sociale. Son centre de jour accueillait auparavant 100 personnes par jour; il ne peut maintenant plus en recevoir que 15 à 30. Il y a désormais plus de jeunes et d’adultes qui vivent dans des tentes qu’avant le début de la COVID-19.
L’itinérance est le résultat du racisme, d’un manque de tolérance à l’égard de la communauté LGBTQ2S+, de l’absence de logements abordables, de la pauvreté et de la précarité d’emploi (autant de phénomènes qui se sont aggravés depuis le début de la pandémie), ainsi que de l’isolement social. Selon un sondage (Thulen et Noble, 2020) réalisé auprès d’organismes qui dispensent des services depuis le début de la pandémie, l’ennui, la solitude, l’anxiété, la dépression, les troubles du sommeil, les problèmes de santé mentale préexistants ainsi que la consommation de drogue et les overdoses sont tous en hausse. Les fermetures d’écoles ont accentué l’isolement social, qui est l’un des principaux facteurs de problèmes de santé mentale, en particulier chez les jeunes présentant des troubles d’apprentissage qui ont besoin d’être soutenus à l’école. Pour les jeunes qui souffrent d’anxiété sociale, les cours en ligne peuvent toutefois être plus aidants.
Covenant House recommande :
- De communiquer davantage, y compris à l’aide de plateformes virtuelles pour rejoindre plus de jeunes (en gardant à l’esprit que beaucoup n’ont pas de téléphone cellulaire ni d’ordinateur);
- D’offrir un meilleur accès aux services de santé mentale et aux traitements de la toxicomanie;
- D’offrir des soins tenant compte des traumatismes subis, qui permettent de comprendre pourquoi les jeunes réagissent comme ils le font et comment mettre en place un environnement sécurisant qui permettra de réduire les symptômes;
- De mettre en place des programmes de prévention, comme une approche axée sur la priorité au logement;
- De favoriser une meilleure collaboration avec les prestataires de services de santé mentale, avec les services de protection de l’enfance, avec le système de justice pour adolescents et avec des services culturellement adaptés;
- D’offrir un meilleur accès à de l’aide financière et sociale, dans la mesure où la COVID-19 exacerbe la pauvreté chez les jeunes.
Outils pour aider les jeunes à augmenter leur résilience, à réduire leur anxiété, à s’adapter et s’intégrer :
La Dre Susan Abbey recommande :
- D’encourager les jeunes à se voir comme faisant partie d’un moment historique, à aider les autres et à aller de l’avant.
- D’aider les jeunes à augmenter leur résilience grâce à la pleine conscience. Il s’agit d’une pratique dérivée du bouddhisme, pour lequel la vie est souffrance et, en accédant à notre compassion et à notre bienveillance à l’égard d’autrui, on peut s’aider soi-même à composer avec la souffrance et augmenter sa résilience.
Selon la Dre Joanna Henderson :
- Une marche pourra aider; les dernières études indiquent que le fait de passer du temps dans la nature et à l’extérieur contribue à la santé mentale.
- Il est important de bien structurer ses journées, autant pour les enfants que pour les jeunes, et de se lever, de prendre sa douche et de manger à des heures régulières, de faire de l’exercice et de se détendre.
- En famille, il fait éviter les sujets qui risquent de dégénérer en conflit. Il faut éviter de poser trop de questions concrètes : As-tu fait tes devoirs? Où en es-tu? As-tu vidé le lave-vaisselle?
- Il faut encourager les jeunes à rester en contact avec leurs amis, lors de rencontres en ligne ou d’une balade à vélo, en maintenant la distance appropriée, par exemple.
- Il faut encourager le jeune à se confier à des membres de sa famille élargie en qui il a confiance.
Pour Debbie Schatia :
- Il faut prendre le jeune là où il en est. En fonction de son niveau de besoin et de ses problèmes de santé mentale, essayez de le diriger vers les services de soutien et les ressources appropriées.
- Parlez-lui de résilience et de pleine conscience et encouragez-le à faire du yoga en ligne ou à se livrer à une activité physique comme les arts martiaux en ligne.
- Aidez-le à trouver sa place dans la société, dirigez-le vers une clinique adaptée à ses besoins en matière de santé physique et vers un psychiatre pour obtenir de l’aide en matière de santé mentale.
L’animatrice de l’événement, Marvi Ricker, vice-présidente et directrice générale, Services-conseils en philanthropie chez BMO Gestion de patrimoine recommande aux parents de jeunes en souffrance de consulter le site Jack.org; ils y trouveront des conseils sur la façon de s’adresser aux jeunes qui ont besoin d’aide.