Que cela vous plaise ou non, vous avez probablement déjà reçu un coup de pouce aujourd’hui. Vous avez peut-être ralenti en sortant de l’autoroute à la vue des limites de vitesse inférieures affichées le long de la bretelle de sortie. Ou vous êtes peut-être entré dans votre café préféré avec l’intention de n’acheter que votre latte habituel, mais n’avez pas pu résister à l’envie d’acheter l’une des délicieuses pâtisseries placées comme par hasard (et de façon attrayante) à côté de la caisse.
Les coups de pouce – subtils et évidents – sont omniprésents et peuvent être utilisés de manière stratégique pour guider les gens dans leur processus décisionnel, y compris en matière d’épargne et d’investissement. Dans leur livre profondément marquant, Nudge (publié pour la première fois en 2008 et dont l’édition révisée est parue en 2021), le juriste américain Cass Sunstein et l’économiste Richard Thaler expliquent comment les coups de pouce peuvent aider les gens à surmonter les préjugés et les comportements instinctifs qui aboutissent à des choix moins qu’idéaux.
Des lois sur le consentement présumé au don d’organes dans des pays tels que l’Espagne et l’Angleterre aux régimes d’épargne-retraite aux États-Unis, on peut voir partout les répercussions de Nudge, un des ouvrages fondamentaux de l’économie comportementale. Mais comment appliquer ces concepts à l’investissement? La première étape consiste à les comprendre. Voici trois termes clés abordés par Cass Sunstein et Richard Thaler dans Nudge.
Architecture des choix
Au cœur de la théorie du coup de pouce repose un principe important, voulant que pour susciter certaines actions ou activités, il faut les rendre faciles (p. 106). Autrement dit, la façon de présenter les choix est tout aussi importante que les choix eux-mêmes. Par exemple, une entreprise qui souhaite économiser sur les factures d’énergie et réduire ses émissions de carbone peut régler la température par défaut du thermostat du bureau à un demi-degré plus fraîche en hiver et plus chaude en été. Il est peu probable que ce petit changement incite les employés à remettre le thermostat à sa température d’origine.
Comptabilité mentale
Si vous vous êtes déjà alloué un certain montant d’argent, disons 80 $, pour la nourriture et les jeux lors d’une visite en famille dans un parc d’attractions, vous vous êtes livré à un exercice de comptabilité mentale. C’est une façon pour les gens de limiter leurs dépenses dans des scénarios où ils pourraient manquer de maîtrise de soi. L’argent, expliquent Richard Thaler et Cass Sunstein, est fongible, c’est-à-dire qu’il ne porte pas d’étiquette et peut donc être utilisé pour acheter littéralement n’importe quoi. Ainsi, lorsque vous dites à vos enfants qu’il ne leur reste que 12 $ à dépenser en friandises, la réalité est que vous avez beaucoup plus d’argent à la banque que vous pourriez dépenser si vous le vouliez, mais que vous avez mentalement étiqueté seulement 80 $ pour le parc d’attractions.
Biais du statu quo
Comme dans l’exemple du réglage par défaut du thermostat du bureau, certains scénarios tirent parti d’un phénomène particulier voulant que la plupart des gens s’en tiennent à ce qu’ils savent ou à ce qu’ils ont actuellement, car il faut trop d’énergie mentale pour agir autrement. Cass Sunstein et Richard Thaler soulignent la tendance qu’ont les étudiants à se diriger vers les mêmes places chaque semaine, même lorsqu’aucune place n’est assignée. Toutefois, les entreprises tirent souvent parti du biais du statu quo, ou d’inertie, comme on l’appelle parfois, par exemple en proposant un abonnement d’essai gratuit qui passe automatiquement à un abonnement payant, à moins d’accéder à leur site Web pour se désinscrire avant la fin de la période d’essai. Après tout, n’est-il pas plus facile de rester abonné plutôt que de faire des pieds et des mains pour se désinscrire avant d’être facturé?
Toutes ces questions ont un impact sur les investisseurs. Par exemple, s’ils sont confrontés à un trop grand choix de produits, les gens risquent de ne pas investir dans quoi que ce soit. S’ils ne savent pas à quel montant vendre, ils risquent de s’accrocher trop longtemps à une action peu performante (ce qui est lié au biais d’aversion aux pertes, où les gens ont l’impression de faire une perte plus qu’un gain).
Que peuvent faire les investisseurs?
Heureusement, il existe des stratégies que vous pouvez mettre en œuvre pour surmonter les biais qui pourraient nuire à votre portefeuille de placements, comme le concept des valeurs par défaut. Beaucoup ont déjà établi des virements automatiques de leur compte bancaire à leur REER. Richard Thaler et son collègue économiste comportemental Shlomo Bernartzi sont allés un peu plus loin en créant le programme Save More Tomorrow (Épargnez plus demain), un coup de pouce conçu pour inciter les entreprises américaines à inscrire leurs employés à un régime d’épargne-retraite par défaut. Le programme, qui augmente automatiquement les cotisations des employés à leur régime d’épargne à chaque augmentation de salaire, a connu un tel succès qu’il a été inscrit dans la loi en 2006, dans le cadre de la Pension Protection Act aux États-Unis.
Le Canada n’a pas la même règle, mais beaucoup d’entreprises offrent des régimes de retraite qui permettent de verser automatiquement une partie de votre salaire dans un compte de placement. Vous pouvez aussi le faire vous-même en transférant automatiquement des fonds de votre compte de chèques à votre régime enregistré d’épargne-retraite (REER) à chaque période de paie. En augmentant ces transferts automatiques au fil du temps, vous épargnerez encore plus.
Par ailleurs, le biais du statu quo peut vous empêcher de choisir les meilleures options de portefeuille qui se présentent à vous. Évitez ce piège de façon proactive en faisant vos recherches – examinez les options de placement qui s’offrent à vous, renseignez-vous sur les différents produits et planifiez des entretiens réguliers avec votre conseiller financier pour vous assurer de tirer le maximum de votre argent.
Lorsqu’il s’agit de prévenir les pertes, il ne suffit peut-être pas de penser à vendre à un prix donné, surtout compte tenu de la rapidité avec laquelle le marché peut évoluer. Au lieu de cela, une fois que vous avez déterminé le prix auquel vous souhaitez vendre, établissez un ordre stop qui déclenchera automatiquement la vente de l’action que vous détenez lorsqu’elle atteindra un certain prix.
Si de nombreux coups de pouce sont externes – de la part des pouvoirs publics qui défendent nos intérêts ou des entreprises qui cherchent à gagner de l’argent – les coups de pouce personnels sont ceux dont les investisseurs peuvent tirer le meilleur parti. La mise en place de mécanismes de protection des placements, de rappels pour faire le point avec votre conseiller ou même de simples dépôts réguliers dans un compte de placement peut vous aider à maximiser votre argent. Cass Sunstein et Richard Thaler s’en réjouiraient.