Gérer un patrimoine n’est pas chose aisée. Les fluctuations du marché entraînent des baisses et des hausses imprévisibles. Les événements mondiaux perturbent les plans stratégiques. Les actionnaires ont tendance à déplacer les actifs dans différentes directions. Ensuite, il faut tenir compte des points de vue divergents sur le patrimoine au sein de la famille.
Comme le savent tous ceux qui ont regardé l’émission de télévision à succès Succession, le patrimoine familial comporte des défis uniques. Les décisions relatives aux dépenses, à l’épargne et aux placements peuvent être compliquées par des dynamiques interpersonnelles, des conflits d’intérêts et des divergences d’opinion qui, dans le pire des cas, peuvent mener à un désastre financier ou à des litiges. Pour veiller à ce que les voix et les points de vue de chacun soient entendus, il est important de créer un plan de gouvernance familiale qui peut également être coordonné avec la gouvernance de l’organisation et de la propriété afin d’établir une vision commune pour la continuité du patrimoine au cours des générations successives.
Lorsqu’ils sont correctement définis, les plans de gouvernance peuvent aider les membres de la famille à établir des objectifs communs et à rester concentrés sur les objectifs convenus. Mais comment pouvez-vous élaborer un plan sans susciter l’émoi ni déclencher de conflit? Shelley Forsythe, directrice générale, Planification d’entreprise familiale, Bureau de gestion familiale de BMO, prévient qu’il n’y a pas de solution universelle, tout comme il n’y a pas de définition unique de la famille ou du patrimoine familial. Dans certains cas, un plan de gouvernance peut n’impliquer qu’une ou deux générations ainsi que quelques personnes (pensez aux coups bas distribués par les personnages de la série Succession), tandis qu’une famille fortunée mieux établie peut compter plus de 100 membres et parties intéressées.
Peu importe la taille de la famille, il peut être utile de faire appel à un conseiller indépendant pour faciliter la création ou la modification des modalités d’un plan avec la famille. « Les échanges sont souvent plus apaisés en présence d’une personne tierce neutre », explique Mme Forsythe.
Pour aider les membres de votre famille à se mettre d’accord, les étapes ci-dessous peuvent faciliter la création d’un plan auquel tout le monde sera prêt à adhérer. Certaines familles ne sont qu’au début de ce parcours et veulent amorcer des entretiens sur la gestion de patrimoine, tandis que d’autres ont déjà une infrastructure en place pour les guider et cherchent de l’aide pour la planification de la continuité.
Commencer à déterminer les priorités et l’objectif
Madame Forsythe fait beaucoup de travail préparatoire avant de réunir la famille. Elle amorce habituellement le processus en parlant aux fondateurs, s’il y a une entreprise familiale, ou aux parents. Il arrive toutefois qu’un ou plusieurs enfants veuillent amorcer une conversation. Dans le cas des intentions multigénérationnelles en matière de patrimoine, il est important de définir ce qu’ils espèrent obtenir, ainsi que l’objectif du patrimoine et de la famille. Veulent-ils que les générations successives héritent de l’argent et prennent leurs propres décisions en matière d’héritage ou veulent-ils que celles-ci soient les gardiennes du patrimoine, qui peut comprendre la philanthropie? Dans quelle mesure veulent-ils que des personnes extérieures participent à la prise de décisions en matière de placements et de dépenses, notamment aux côtés d’experts en la matière et de membres de services-conseils? À quoi ressemble la dynamique familiale actuelle? Quels rôles et responsabilités doivent être pris en compte maintenant et à l’avenir du point de vue de la relève?
Par la suite, Mme Forsythe interagit avec le reste de la famille, souvent en commençant par un questionnaire et des entrevues de suivi visant à déterminer les valeurs, les passions et les priorités individuelles, ainsi que les sujets, les entretiens et les problèmes qu’ils aimeraient explorer en groupe. « Il s’agit en quelque sorte de prendre le pouls de la famille, dit-elle. Il est nécessaire qu’ils se sentent à l’aise et mobilisés. »
Établir des valeurs et des expériences communes
Une étape fondamentale, une fois la famille réunie, consiste à trouver des valeurs communes. Certaines familles peuvent immédiatement déterminer les valeurs qu’elles partagent, surtout si elles ont grandi dans le même ménage et ont vécu bon nombre d’expériences en commun. D’autres familles peuvent avoir besoin de plus de temps, selon les personnes qui rentrent dans leur définition de la famille, car elles peuvent avoir des racines et des origines familiales différentes.
Lorsque les valeurs communes ne sont pas claires, Mme Forsythe présente souvent aux membres des exercices pour déterminer et expliquer pourquoi les valeurs sont importantes pour eux. « C’est important, dit-elle, car parfois, c’est la première occasion pour la jeune génération (ou les conjoints) de se faire entendre et de voir leurs valeurs intégrées aux objectifs et à la vision de la famille ». Elle a fait l’exercice pour des groupes de 50 personnes et dit que chaque famille trouve un ensemble de valeurs uniques qui reflète ses origines, ses priorités et ses intérêts.
Créer un énoncé de mission familial
Une fois les valeurs définies, les membres de la famille s’appuient sur elles pour rédiger ensemble un énoncé de mission. Il peut s’agir de quelque chose qui touche directement les finances, comme : « Nous accordons une grande importance à la fortune et à la prospérité de notre famille et nous nous engageons à préserver le patrimoine pour les générations futures. » Cet énoncé peut aussi refléter des valeurs axées sur les relations familiales, la collectivité et la philanthropie.
Se préparer à composer avec des identités et des points de vue différents
« Il faut avoir le cœur bien accroché », explique Mme Forsythe. Les rencontres en famille nécessitent du temps et de l’attention pour assurer un bon équilibre entre fond et forme lors des entretiens. Surtout lorsqu’il est question d’argent et que certains membres arrivent avec des idées préconçues sur la réunion, sur eux-mêmes et sur les autres. (Mme Forsythe se souvient d’avoir travaillé avec une famille de 30 membres au sein de laquelle trois personnes différentes se sont identifiées comme les moutons noirs de la famille.)
Afin d’établir des règles de base pour mener des discussions constructives, elle élabore habituellement un code de conduite avec le groupe afin de définir des attentes claires à l’égard du comportement et de la façon dont ils communiqueront et interagiront. « Chaque famille a sa propre dynamique et ses propres habitudes. Il suffit de les rencontrer là où ils se trouvent, à les aider autant que vous le pouvez et à leur fournir d’autres ressources au besoin. Parfois, dit-elle, cela comprend même des recommandations de soutien en santé mentale ou de consultation et de thérapie familiales.
Commencer à mettre des plans en place
Une fois qu’une partie du travail de base est en place, les membres de la famille sont habituellement suffisamment alignés pour commencer à planifier des séances de suivi. Certaines familles ‘ont besoin que de peu de conseils à cette étape, car elles sont déjà harmonisées et habilitées à élaborer des plans et à prendre des décisions ensemble. D’autres déterminent les domaines dans lesquels elles ont besoin d’aide : la littératie financière, par exemple, ou la planification successorale, la relève et la philanthropie. Lorsque c’est le cas, Mme Forsythe coordonne des ateliers pour répondre à des besoins précis, en faisant souvent appel à d’autres conseillers de BMO ou à des conseillers externes spécialisés dans ces domaines.
Certaines familles élaborent des processus officiels de prise de décision ou établissent divers comités ou conseils, qui pourraient comprendre des personnes qui ne sont pas membres de la famille, pour examiner les propositions. « À ce stade-ci, la famille cherche à déterminer ce que nous traitons bien à l’interne, et où nous avons besoin d’aide et de conseils stratégiques lorsque l’externalisation est requise. »
Établir un calendrier de suivi
La planification de la gouvernance familiale ne s’arrête jamais vraiment. « La tâche ne s’arrête pas là », explique Mme Forsythe. Il n’y a pas de formule magique pour décider de la fréquence des rencontres ou de la poursuite de l’entretien. Certaines familles se réunissent chaque année, tandis que d’autres trouvent qu’il est utile de communiquer plus régulièrement et de planifier des entretiens de suivi trimestriels ou même mensuels.
« Il n’y a pas de fin à une feuille de route familiale souple. Il y aura des bouleversements générationnels, selon ce qui se passe, explique-t-elle. J’aime utiliser une analogie avec la maison. À mesure que votre famille grandit, vous voudrez réfléchir aux rénovations. À mesure que les générations se succéderont, vous devrez peut-être vous adapter et apporter quelques modifications pour permettre à plus de voix d’être entendues. »