L’augmentation des taux d’intérêt rend les obligations plus intéressantes et les actions un peu moins
Les « justiciers des obligations1 » semblent s’être réveillés. À mesure que les déficits et l’endettement des grandes économies s’alourdissent et que les pressions inflationnistes persistent, les investisseurs en obligations réclament des taux d’intérêt plus élevés, qui bonifieront leur rémunération. Le manque de discipline budgétaire dans les pays développés préoccupe de plus en plus les investisseurs parce qu’il sous-entend l’émission d’un plus grand nombre de titres de créance, alors que le capital nécessaire pour absorber un tel endettement est limité. Les États-Unis en sont un exemple. Leur déficit annuel était déjà de 7 % du PIB avant que le One Big Beautiful Bill (beau et grand projet de loi) du président Trump ne soit adopté, projet qui aura pour effet d’augmenter la dette. Pour les obligations souveraines de haute qualité comme celles du Trésor américain, le remboursement du capital investi n’est pas le problème, car nous supposons qu’elles resteront sûres dans un avenir prévisible. Le vrai problème tient plutôt à ce que les versements de coupons soient fixes, ce qui rend les investisseurs vulnérables à l’inflation et érode la valeur réelle des titres. Ce problème est d’autant plus grand pour les investisseurs étrangers lorsque la devise du pays émetteur subit des pressions comme le billet vert a commencé à le faire en 2025. À titre d’exemple, Bloomberg a souligné que les assureurs taïwanais ont perdu plus de 600 millions de dollars américains seulement en avril à cause de la faiblesse du dollar américain causée par les menaces de tarifs douaniers du président Trump. Comme les pays asiatiques détiennent plus de 7 000 milliards de dollars américains d’actifs américains, la volatilité et l’incertitude persistantes des politiques américaines risquent d’entraîner une diversification vers d’autres actifs pendant des années.
Même si la décision récente du Tribunal du commerce international des États-Unis de bloquer les tarifs réciproques, les tarifs de base de 10 % et ceux liés au fentanyl imposés par l’administration Trump au Canada, au Mexique et à la Chine est positive à première vue, nous croyons qu’elle augmente en fait l’incertitude étant donné que le président Trump dispose de plusieurs autres leviers pour maintenir, voire augmenter les tarifs douaniers. En fin de compte, cela décourage les partenaires commerciaux de négocier à court terme.
Comme l’a récemment fait remarquer The Economist, une source structurelle de demande pour les obligations gouvernementales à long terme est en train de se tarir. Les gestionnaires actif-passif, soit les institutions telles que les caisses de retraite à prestations déterminées qui utilisent les flux de revenus fixes des obligations pour garantir leurs passifs à venir, ont longtemps été de grands acheteurs. Les taux sont toutefois suffisamment élevés pour que ces institutions puissent cristalliser les flux de trésorerie à des prix attrayants pour bien des années, ce qui signifie que nombre d’entre elles peuvent se permettre de se retirer du marché. Comme l’offre d’obligations demeure élevée parce que les déficits budgétaires s’accumulent et que les banques centrales assainissent leur bilan, le coût des emprunts à long terme continuera d’augmenter.
Il est toutefois important de faire la part des choses. Même si les taux augmentent, ils demeurent relativement bas par rapport aux normes historiques. Pourtant, lorsque les taux des obligations gouvernementales augmentent, les taux hypothécaires augmentent eux aussi. Plus précisément, les taux hypothécaires à 30 ans aux États-Unis ont récemment dépassé 7 %, ce qui est loin d’être favorable pour le marché de l’habitation (qui représente au total plus de 15 % du PIB). Les
grands constructeurs de maisons en ressentent les effets. Leur confiance se situe à un creux de plusieurs années et leurs actions ont été malmenées. Le secteur de l’habitation est encore plus important pour l’économie canadienne, mais nous profitons actuellement de taux d’intérêt et de taux hypothécaires beaucoup plus bas, ce qui est un net avantage pour notre marché.
Le procès-verbal de la toute récente réunion de la Fed ne laisse pas entrevoir une forte probabilité de réduction des taux dans les prochains mois. Voici ce qu’on peut y lire : « Lors des discussions sur les facteurs de gestion du risque qui pourraient avoir un impact sur les perspectives de la politique monétaire, les participants ont convenu que les risques de hausse de l’inflation et du chômage avaient augmenté. Presque tous les participants ont dit craindre que l’inflation ne s’avère plus persistante que prévu. » [TRADUCTION] Études économiques BMO a conclu il y a trois semaines que la Fed sonnait l’alarme de la stagflation, mais il semble que la question de l’inflation soit encore plus préoccupante.
Les valorisations des actions reprendront de l’importance dans un avenir plutôt proche que lointain
La hausse des taux d’intérêt à 10 ans a une incidence directe sur le cours des obligations, car une hausse des taux entraîne mathématiquement une baisse des cours obligataires. Plus l’échéance2 de l’obligation est longue, plus l’impact est fort. La hausse des taux d’intérêt a également une incidence importante sur les valorisations et le rendement des actions. On comprend bien qu’une hausse des taux d’intérêt plombe le rendement des secteurs à forte intensité de capital comme l’industrie, les services publics, les télécommunications, les FPI et même la technologie (pensez aux investissements massifs consacrés récemment aux centres de données, aux puces d’IA, etc.) puisque 1) le coût des fonds augmente en cas de hausse des taux d’intérêt et 2) cela rend l’avantage typique du rendement des actions de ces secteurs moins intéressant par rapport aux placements obligataires. Une autre répercussion très importante est le taux d’actualisation plus élevé appliqué aux flux de trésorerie futurs, qui réduit la valeur actualisée des bénéfices futurs et, de ce fait, les valorisations.
Comme nous l’avons écrit à maintes reprises, l’analyse des valorisations des actions (ou même d’autres catégories d’actifs) est une fort mauvaise méthode de prévision. Cependant, l’histoire financière a montré à maintes reprises que la rigueur quant au prix d’achat de ses actifs (avoir une « marge de sécurité », comme l’a si bien dit Warren Buffett) est la meilleure façon d’assurer un rendement approprié pour les investisseurs à long terme. Ce principe s’applique autant à l’immobilier qu’aux actifs financiers comme les obligations et les actions. La principale raison en est que le marché boursier revient toujours à la moyenne. En effet, les excès à la hausse ou à la baisse ont tendance à être corrigés par des réactions opposées (pensez à un élastique que l’on tend trop et qui revient claquer dans la direction opposée).
Cela étant dit, le contexte changeant de l’inflation et des taux d’intérêt offre des occasions de répartition géographique intéressantes. Au Canada, par exemple, le marché a réagi de façon très différente, puisqu’il a inscrit des gains médians nettement supérieurs lorsque les taux d’intérêt ont augmenté, probablement parce que ces augmentations ont coïncidé avec des pressions inflationnistes et de solides cycles des prix des matières premières qui en ont découlé. Rappelons à nos lecteurs qu’environ le tiers de la capitalisation boursière de l’indice S&P/TSX se situe dans les secteurs de l’énergie et des matières premières, contre moins de 10 % aux États-Unis.
Les actions canadiennes se négocient toujours à un escompte exceptionnellement élevé par rapport à celles des États-Unis en raison de leur ratio cours-bénéfice (plus faible) et de leur rendement en dividendes (plus élevé)
Examinons de nouveau l’avantage de la valeur relative des actions canadiennes par rapport aux actions américaines. Il est vrai que le Canada a déjà surpassé les États-Unis de 8 % au cours de la dernière année, mais nous considérons toujours que cet escompte est excessif non seulement historiquement, mais aussi relativement au potentiel de croissance des bénéfices pour un certain nombre d’entreprises des secteurs de la finance, de l’industrie et des ressources naturelles. Par rapport à
l’indice S&P 500, l’indice composé S&P/TSX a un ratio cours-bénéfice plus faible (21,3 fois contre 15,8 fois) et un rendement de l’action plus élevé (1,64 % contre 3,09 %).
Analyse technique
La principale tendance des marchés boursiers demeure haussière et s’accompagne d’une amélioration continue de tous les indicateurs composant notre modèle de prévision à moyen terme. Les indicateurs du momentum hebdomadaire sont par exemple désormais au vert tant pour l’indice composé S&P/TSX que pour le S&P 500, après avoir généré de nouveaux signaux d’achat au cours des dernières semaines (les premiers signaux d’achat combinés depuis le creux du marché baissier de 2022).
Certains de ces indicateurs sont redevenus positifs après avoir affiché les niveaux de survente les plus élevés depuis le creux du marché baissier de 2022, ce qui leur laisse amplement de marge pour progresser avant de devenir un obstacle pour les actions.
Les indicateurs d’ampleur mesurent la qualité des reprises boursières sur la base du nombre d’actions qui y participent, et nous avons constaté de véritables améliorations à cet égard dernièrement. La plupart des indicateurs d’avancées et de déclins, y compris la ligne avance/déclin traditionnelle du NYSE et la ligne avance/déclin du S&P 500, ont atteint des sommets historiques.
Historiquement, les ruptures de ces indicateurs précèdent habituellement celles de l’indice S&P 500, de sorte que ce type d’amélioration est de bon augure pour l’indice. Cela fait suite au signal d’achat résultant de la poussée d’amplitude qui est survenue à la fin du mois d’avril. Souvenons-nous que les sept poussées d’amplitude observées depuis la crise du crédit ont entraîné un gain moyen de 35 % sur 12 mois pour l’indice S&P 500.
Le dernier indicateur, mais non le moindre, est celui de la confiance. Les derniers sondages témoignent tous d’une nouvelle amélioration, si bien que notre indicateur de confiance composé a encore une fois solidement progressé.
Il s’agit de la variation la plus importante de cet indicateur sur quatre semaines depuis que les marchés se sont redressés après la correction à moyen terme à l’automne 2023; l’appétit pour le risque continue donc de croître, ce qui est favorable aux actions.
En ce qui a trait au potentiel de hausse, le S&P 500 rencontrera quelques seuils de résistance de moindre importance sur sa trajectoire, mais celui qui doit réellement retenir notre attention est le seuil du début de 2025, à 6 147. Si ce seuil devait être rompu, il renouerait avec une tendance haussière à long terme qui ouvrirait la voie à une nouvelle cible de 7 460. Ici, au Canada, l’indice composé S&P/TSX a déjà atteint un nouveau sommet historique lorsqu’il a terminé au-dessus du seuil de résistance à 25 875 points à la fin de la semaine dernière. Cette rupture indique la reprise de la tendance à la hausse à long terme et a établi une nouvelle cible de hausse à 29 523.
Le seul obstacle qui pourrait remettre en question nos prévisions est l’orientation des taux d’intérêt à long terme. Le taux des obligations à 10 ans du gouvernement américain a récemment renversé la tendance baissière observée depuis le sommet du début de 2025. Ce revirement a ouvert la voie au dépassement du sommet de 4,59 % atteint en avril (c’est fait) et possiblement de celui de 4,81 % atteint au début de 2025. Le grand problème réside dans l’impact qu’a eu la récente flambée des taux sur notre modèle de prévision à moyen terme. Les indicateurs du momentum hebdomadaire donnent de nouveaux signaux d’achat pour la première fois depuis l’automne dernier.
Depuis la fin de 2021, ces signaux d’achat ont entraîné un mouvement moyen de 108 points de base sur 14 semaines et demie. En utilisant la moyenne, la mesure à partir de laquelle le signal d’achat des indicateurs du momentum à moyen terme s’est produit donnerait une cible de hausse de 5,59 %, ce qui constituerait un obstacle colossal pour les actions jusqu’à la fin du troisième trimestre.
Les banques centrales resteront probablement sur la touche un peu plus longtemps
Pour les investisseurs en obligations, le bruit entourant l’incertitude liée au commerce et aux politiques a entraîné de la volatilité à court terme, mais, en fin de compte, deux facteurs priment : les déficits et l’inflation. D’importants déficits, alimentés en partie par les obligations liées au service de la dette en hausse constante, retiennent beaucoup plus d’attention,
en particulier aux États-Unis, où les frais d’intérêt dépassent maintenant les dépenses de défense. De plus, l’inflation élevée au pays et à l’échelle mondiale, nourrie à l’heure actuelle par le regain de protectionnisme aux États-Unis, laisse planer la possibilité d’une stagflation3, ce qui ajoute aux préoccupations des investisseurs.
Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, la décision récente du Tribunal du commerce international des États-Unis sur les tarifs douaniers est encourageante, mais elle ne fait qu’ajouter à l’incertitude. Elle peut modifier le parcours, mais pas nécessairement la destination prévue. Même si une baisse des tarifs douaniers pouvait être positive pour l’économie à court terme, elle ne se traduirait pas nécessairement par une baisse de l’inflation et des taux d’intérêt. Par ailleurs, le repli des recettes douanières pourrait limiter les progrès en matière de réduction du déficit, qui aurait de fortes chances d’augmenter à cause de l’impact de la One Big Beautiful Bill Act. Cette loi scelle probablement une bonne partie de la politique budgétaire de la prochaine décennie et pourrait entraîner des déficits supplémentaires de 3 000 milliards de dollars américains qui viendront s’ajouter à une dette américaine en forte croissance.
Elle doit encore être approuvée par le Sénat d’ici le début du mois de juillet, un processus qui pourrait être ralenti par l’intervention des sénateurs plutôt favorables à l’allègement de la dette. La loi prévoit une hausse du plafond de la dette et, comme l’on s’attend à ce que le Trésor américain ait épuisé toutes ses mesures de financement d’urgence en août et atteint la limite de 36 100 milliards de dollars américains, cette mesure ne fera qu’ajouter à l’incertitude au cours de l’été.
Cela contribue à expliquer le récent mouvement de hausse des taux sur le marché des titres à revenu fixe. Premièrement, une inflation plus persistante incite les investisseurs à revoir leurs attentes à long terme intégrées dans la courbe des taux. Deuxièmement, malgré le ralentissement de la croissance économique, le risque de déficits importants fait augmenter les taux réels et les primes à l’échéance. Troisièmement, le contexte inflationniste et l’incertitude commerciale laissent peu de marge de manœuvre à court terme à la Réserve fédérale américaine (et à de nombreuses autres grandes banques centrales) pour assouplir ses politiques, ce qui repousse les attentes de réductions de taux aux États-Unis à plus tard en 2025.
On pourrait en dire autant de la Banque du Canada. Une faible hausse récente des mesures de l’inflation de base retardera probablement un peu plus la prochaine réduction des taux. Des politiques budgétaires plus énergiques de la part du nouveau gouvernement libéral pourraient atténuer certaines des répercussions de la guerre commerciale sur la croissance et accentuer les pressions inflationnistes actuelles. Compte tenu de l’absence de précisions sur la santé budgétaire du Canada (la prochaine mise à jour budgétaire est attendue à l’automne), les taux à moyen et à long terme pourraient rester sous pression, ce qui favorise une durée plus défensive du portefeuille.
1Un investisseur en obligations qui proteste contre les politiques monétaires ou budgétaires qu’il considère comme inflationnistes en vendant des obligations, ce qui en augmente le taux.
2La durée effective est une mesure approximative de la sensibilité du cours d’une obligation aux fluctuations des taux d’intérêt. Si une obligation a une durée effective de 10 ans, par exemple, son cours augmentera d’environ 10 % si son taux baisse d’un point de pourcentage (100 points de base), alors que son cours baissera d’environ 10 % si son taux augmente du même pourcentage.
3La stagflation est une période au cours de laquelle l’économie d’un pays affiche une inflation élevée persistante, ainsi que des taux de chômage élevés et une croissance économique stagnante. Les tarifs douaniers sont inefficaces sur le plan économique, ce qui augmente en théorie les probabilités de stagflation : les coûts augmentent généralement, ce qui fait grimper les prix (inflation) et exerce des pressions à la baisse sur la croissance économique. La période de stagflation la plus notable est survenue dans les années 1970. Les prix du pétrole ont grimpé en flèche et ont causé des chocs de l’offre notables, ce qui a entraîné une augmentation de l’inflation et contribué à de multiples récessions et à un taux de chômage élevé.