Réimprimé avec la permission de Sal Guatieri, économiste principal et directeur général, BMO Marchés des capitaux. Juillet 2022.
Nous penchons toujours pour la « résilience » dans la question titre, mais avec de moins en moins de conviction.
Les prix élevés de l’énergie et des aliments amenuisent le pouvoir d’achat et la confiance des consommateurs. La hausse rapide des taux d’intérêt refroidit les récentes ardeurs du marché de l’habitation. Même après plusieurs révisions à la hausse, nous entrevoyons toujours des risques de hausse tant pour l’inflation que pour le taux directeur. Toute autre secousse à la hausse causerait presque assurément un atterrissage brutal. Malgré tout, nous donnons à l’expansion des chances à peu près égales de se poursuivre, à un rythme toutefois beaucoup plus lent et proche de la stagnation à la fin de l’année, appuyée par le taux élevé d’épargne des ménages et la demande refoulée pour les voyages, les services en personne et les automobiles. Les entreprises doivent investir pour accroître leur capacité, mais la situation doit d’abord s’améliorer à bien des égards, notamment au chapitre de l’inflation et de la guerre en Ukraine. Le recul des prix du bois d’œuvre et des métaux, ainsi que l’assouplissement des restrictions liées à la pandémie en Chine sont un bon début, mais ce sont des victoires relativement modestes, puisque le prix du pétrole reste supérieur à 100 $ US le baril.
La vigueur de l’économie canadienne est supérieure à celle de la plupart des grandes puissances en raison de sa forte exposition aux ressources.
Bien que le PIB réel ait augmenté moins que prévu au premier trimestre (taux annualisé de 3,1 %), il a enregistré une hausse de 6,6 % au quatrième trimestre et demeurait au-dessus du potentiel de croissance à long terme. Le ralentissement a reflété un important renversement dans les exportations ainsi qu’un début d’année difficile à cause des restrictions liées à la pandémie. La demande intérieure a toutefois été vigoureuse, surtout grâce aux gains importants réalisés au chapitre de la construction résidentielle (18,1 %) et des investissements des entreprises (9,0 %). De plus, la consommation des ménages a été solide (3,4 %), soutenue par près de 300 milliards de dollars canadiens d’économies supplémentaires accumulées pendant la pandémie, soit 19 % du revenu disponible. Cela atténuera les difficultés causées par la hausse des coûts de l’énergie et des aliments pour les ménages, du moins pour le moment. La solidité des résultats mensuels relatifs au PIB suggère une croissance encore plus forte de 4,0 % au deuxième trimestre. Mais ce niveau devrait marquer le sommet pendant quelque temps, car la hausse des taux d’intérêt commencera à se faire sentir, comme c’est déjà le cas dans le marché de l’habitation. Le coût du service de la dette record des ménages pourrait représenter plus de 15 % du revenu disponible, en hausse par rapport à 13,8 % au quatrième trimestre. En raison d’un resserrement monétaire plus musclé et d’une demande mondiale plus faible, nous avons révisé à la baisse nos prévisions de croissance en les faisant passer à 3,4 % cette année et à seulement 1,0 % l’an prochain.
Le PIB américain réel s’est contracté au premier trimestre après avoir bondi au quatrième trimestre. Un déficit commercial record et des réductions de dépenses gouvernementales ont causé la plus grande partie des dommages. Cependant, l’accélération de l’investissement des entreprises et la robustesse des dépenses de consommation ont prouvé la vigueur sous-jacente, ce qui contribuera au rebond du PIB, qui devrait s’établir à un taux annualisé de 1,0 % au deuxième trimestre. Malgré tout, la croissance devrait ralentir à 2,0 % cette année et à seulement 0,5 % en 2023, bien en dessous du niveau potentiel et des prévisions consensuelles. La politique monétaire se resserre maintenant au rythme le plus rapide depuis des décennies, tandis que les prix record de l’essence siphonnent l’argent des consommateurs. Cependant, la reconstitution des stocks pourrait prolonger l’expansion. De plus, en ce qui concerne les particuliers, une extraordinaire réserve d’épargne supplémentaire, soit environ 2 300 milliards de dollars américains ou 13 % du revenu disponible, contribue à maintenir les dépenses face à la hausse des prix du carburant et des aliments. Même si seulement un tiers de cette épargne excédentaire est utilisé pour des achats, il devrait soutenir la demande pendant une bonne partie de l’année prochaine. La demande refoulée aidera également l’industrie automobile après l’amélioration de l’offre.
Une croissance décente a mené aux meilleures conditions sur le marché du travail depuis des décennies.
Le Canada compte maintenant un demi-million d’emplois de plus qu’au début de la pandémie, tandis que le taux de chômage de 4,9 % est au niveau le plus bas enregistré depuis au moins 45 ans. Pendant ce temps, le nombre de salariés américains a augmenté de 390 000 en mai, ce qui représente une baisse par rapport aux mois précédents, mais reste plus du double de la norme à long terme. On compte près de deux offres d’emploi par chômeur aux États-Unis et presque une au Canada. Malgré la rapidité de recrutement, le taux de chômage aux États-Unis s’est maintenu à 3,6 % pendant trois mois en raison d’une hausse bienvenue du taux de participation. Malgré tout, le ralentissement attendu devrait faire passer le taux de chômage au-dessus de 4 % l’an prochain, ce qui contribuera à soulager les pressions inflationnistes.
La hausse rapide des taux hypothécaires refroidit rapidement les ardeurs des marchés de l’habitation. Plus tôt cette année, les prix des maisons au Canada et aux États-Unis ont augmenté respectivement à des taux record de 29 % et 21 % sur 12 mois, surtout en raison d’une demande excessive, stimulée par des taux d’intérêt trop bas. Toutefois, des données plus récentes montrent que les ventes diminuent rapidement dans les deux pays à cause de la médiocrité de l’abordabilité, alors que les prix commencent à baisser au Canada. Les coûts des services hypothécaires approchent des niveaux de 1989 au Canada et de 2006 aux États-Unis. Rappelons-nous qu’aucune de ces périodes ne s’est bien terminée. Au Canada, les ventes risquent de glisser sous les niveaux d’avant la pandémie avec la diminution du nombre de prêts hypothécaires préétablis. Nous nous attendons à ce que les prix au Canada perdent une bonne partie du terrain gagné l’année dernière, avant de reprendre un cours ascendant plus modeste avec le soutien d’une forte immigration et de marchés locatifs tendus. Aux États-Unis, le prix des maisons continue de monter dans un contexte de faiblesse des inscriptions, mais il devrait se stabiliser plus tard cette année. Plus les banques centrales doivent lutter vigoureusement contre l’inflation, plus grand est le risque d’une correction plus importante des prix résidentiels.
Les risques inflationnistes restent orientés à la hausse, même selon nos prévisions supérieures aux consensus.
En mai, les rapports sur l’IPC aux États-Unis et au Canada ont surpris les analystes en montrant une accélération de l’inflation globale et de base. Le taux annuel de l’indice des prix à la consommation devrait maintenant atteindre un sommet de plus de 9 % aux États-Unis et de plus de 8 % au Canada cet été, avant de redescendre lentement à environ 3 % à la fin de 2023, toujours au-dessus de la cible de 2 %. Alors que la croissance des salaires reste modérée au Canada, à un peu moins de 4 % sur 12 mois, les gains de rémunération aux États-Unis approchent de 6 %. La faible croissance de la productivité aux États-Unis et la baisse marquée au Canada font également grimper les coûts unitaires de main-d’œuvre. Les coûts de l’énergie et des aliments ne montrent que peu de signes de baisse. Le coût élevé de la propriété d’une maison a fait grimper les loyers. La baisse des prix du bois d’œuvre et des métaux ne représente qu’une petite victoire sur le plan de l’inflation, et l’indicateur de pression de la chaîne d’approvisionnement mondiale de la Fed de New York reste très élevé, bien qu’il ne soit pas à son maximum.
La Fed et la Banque du Canada sont sur la bonne voie pour atteindre ou dépasser rapidement le taux neutre.
Le 15 juin, la Fed a relevé ses taux directeurs de 75 pdb, soit la hausse la plus élevée depuis 1994, à la suite des mauvaises nouvelles concernant l’IPC et de la hausse « frappante » des attentes inflationnistes. Nous nous attendons à une hausse similaire en juillet, et nous prévoyons que le taux cible des fonds fédéraux atteindra un sommet de 3,63 % à la fin de l’année. La Banque du Canada a relevé ses taux à 2,5 % en juillet, puisqu’elle se dit « prête à intervenir plus énergiquement si nécessaire » pour éviter que la forte inflation ne s’inscrive dans les attentes, car l’économie « fonctionne de toute évidence en période de demande excédentaire ». La cible du taux directeur de la Banque devrait atteindre un sommet de 3,50 % d’ici la fin de l’année, bien au-dessus des sommets atteints au cours du dernier cycle de resserrement (1,75 %) et un peu au-dessus d’une fourchette neutre.
La nécessité éventuelle d’un resserrement monétaire encore plus vigoureux pour limiter l’inflation est la plus grande menace pour l’expansion.
Les risques de ralentissement augmenteront selon la mesure dans laquelle les banques centrales devront porter les taux au-dessus du niveau neutre pour rétablir la stabilité des prix. Les probabilités d’une récession sont déjà élevées, étant donné que la Fed n’a jamais réussi un atterrissage en douceur en au moins six décennies lorsque l’inflation était aussi importante et le taux de chômage ainsi que le taux directeur aussi faibles au début d’un cycle de resserrement. D’autres problèmes pourraient survenir également qui pourraient toucher l’économie mondiale, comme la propagation de la guerre au-delà des frontières ukrainiennes, de nouveaux confinements liés à la pandémie en Chine et l’apparition d’une souche plus grave du virus. Une chose est claire : la résilience de l’économie sera éprouvée, à moins que les choses ne s’arrangent sur plusieurs plans l’année prochaine, particulièrement l’inflation.
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