La guerre commerciale menée par les États-Unis contre la Chine et d’autres pays est peut-être interrompue pour le moment, mais l’incertitude entourant l’avenir pèse encore sur l’économie nord-américaine. Au moins, les investisseurs gardent leur sang-froid pour l’instant, ont exprimé deux experts de BMO lors d’une récente table ronde.
Voilà quelques-uns des propos qui sont ressortis d’un événement exclusif sur les perspectives du marché et de l’économie qui s’est tenu à Calgary. Jennifer Lee, économiste principale et première directrice générale, BMO Marchés des capitaux, et Brian Belski, stratège en chef, Placements, BMO Marchés des capitaux, ont participé à cet événement, animé par June Zimmer, présidente régionale, Ouest du Canada, BMO Gestion privée.
Le mois d’avril a été marqué par une extrême volatilité après l’introduction par les États-Unis de tarifs douaniers à l’occasion du « jour de la libération », mais Jennifer Lee est désormais plus sereine après que les États-Unis et la Chine ont évité le pire. « Les deux dirigeants des plus grandes économies du monde étaient pratiquement au bord du précipice, ils ont regardé dans le vide, puis ils ont fait demi-tour, a-t-elle déclaré. Il reste à savoir s’ils concluront ou non une entente, mais le fait qu’ils aient reculé est une bonne nouvelle. »
Un enjeu en constante évolution
L’histoire n’est bien sûr pas terminée. Même si les États-Unis ont également suspendu bon nombre des tarifs douaniers annoncés à l’encontre de leurs autres partenaires commerciaux, dont le Canada, la fin du sursis tarifaire de 90 jours demeure préoccupante. Par ailleurs, le Tribunal de commerce international des États-Unis a récemment annulé la plupart de ces tarifs douaniers et ordonné à l’administration de cesser de percevoir les droits qui avaient été mis en place.
On ne sait toujours pas ce qui se passera à la date d’échéance du 8 juillet.
Entre-temps, Mme Lee a révélé que les États-Unis semblent se concentrer sur la négociation de nouvelles ententes avec leurs 18 principaux partenaires commerciaux et que l’on pouvait être optimiste quant à la conclusion de ces ententes. « Espérons que le Canada fasse partie du lot, a-t-elle ajouté. Tout le monde va recevoir une lettre indiquant un chiffre qui représente le coût de faire des affaires aux États-Unis. Nous avons déjà connu cette situation, mais c’est ainsi que les choses se déroulent actuellement. »
Se serrer la ceinture
On constate également une nouvelle tendance à l’austérité budgétaire depuis que Moody’s a abaissé la cote de crédit du gouvernement américain d’AAA, son niveau le plus élevé, à AA1. Même si cette nouvelle n’a rien de surprenant, Mme Lee a fait remarquer qu’il serait probablement plus difficile pour les États-Unis d’adopter leur nouveau projet de loi sur les impôts et les dépenses. « Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les taux à long terme, a-t-elle fait remarquer. Ce n’est pas non plus une bonne nouvelle pour l’économie mondiale. »
Elle a indiqué s’attendre à ce que la croissance ralentisse aux États-Unis pour toucher environ 1,3 % cette année et 1,4 % l’an prochain. « C’est un niveau plus élevé que ce qu’on a observé par le passé, a-t-elle fait valoir. Nous avons revu à la hausse nos prévisions de croissance en raison de la pause de 90 jours avec la Chine, mais celles-ci restent inférieures à celles du début de l’année, où nous tablions sur une croissance de 2 % pour les deux années. Ces conséquences sont le résultat de la guerre commerciale. »
Cette croissance lente pose un problème pour le Canada, a noté Mme Lee, étant donné que 75 % de ses exportations vont vers les États-Unis et que 55 % de toutes ses importations proviennent de ce pays. « Nous nous attendons à une récession technique, avec une croissance d’un peu plus de 1 % pour les prochaines années. Je pense qu’aucun pays ne sortira indemne de cette affaire. »
De nouvelles baisses de taux à venir
Après la publication de données sur l’indice des prix à la consommation « très stables » en avril, l’inflation globale au Canada a légèrement baissé – ce qui, selon Mme Lee, était attendu –, mais les mesures de l’inflation de base restent supérieures à 3 %. « Il est très difficile pour une banque centrale qui tente de lutter contre l’inflation de réduire son taux directeur alors que cette dernière est en hausse », a-t-elle reconnu.
Tout en attendant de voir plus de données, Mme Lee table sur trois autres baisses du taux directeur de la Banque du Canada d’ici à la fin de l’année, ce qui le ramènerait à 2 %. Aux États-Unis, la prochaine baisse du taux directeur de la Réserve fédérale américaine (Fed) aura probablement lieu en juillet, suivie de six autres d’ici la fin de l’année prochaine. « Il y en aura probablement trois autres cette année et trois autres l’an prochain, a-t-elle déclaré au sujet de la Fed. Mais, encore une fois, la situation risque d’évoluer de manière assez imprévisible.
Faire le point sur sa stratégie
En ce qui concerne les marchés, Brian Belski a indiqué que ce n’était pas le moment de céder à la panique, réitérant sa profonde conviction que les États-Unis se trouvent en plein dans un marché haussier de 25 ans qui a débuté en 2009. Les marchés ont commencé à se redresser, car les investisseurs maîtrisent leurs émotions et ne réagissent pas de façon excessive aux dernières manchettes. M. Belski s’attend à ce que les marchés soient choqués par la normalisation et qu’ils soient moins susceptibles de connaître les fluctuations de 20 % observées en avril. « L’Amérique du Nord demeure le meilleur endroit au monde pour investir, a-t-il ajouté. À notre avis, il n’y a absolument aucune raison d’investir ailleurs. »
Dans ce contexte normalisé, M. Belski estime qu’il est temps de s’éloigner des algorithmes et de revenir aux principes fondamentaux de l’investissement. « Selon moi, c’est le début de ce que l’on appelle l’âge d’or de la sélection des actions, a-t-il avancé. Le moment est propice à la détention d’actions. On a tout intérêt à élargir sa perspective et à diversifier ses placements, en privilégiant davantage une stratégie thématique axée sur les actions. C’est ce qui nous a poussés à acheter en 2003 des actions d’une petite société appelée Apple. »
La diversité demeure essentielle, a-t-il expliqué, encourageant les investisseurs à s’exposer un peu aux États-Unis, un peu au Canada et un peu à d’autres régions. « Qu’il s’agisse d’actions à grande ou à petite capitalisation, d’actions de valeur ou d’actions dont les dividendes vont croissant, il faut détenir un peu de tout. »
Éliminer les obstacles
Enfin, Mme Lee a exprimé l’espoir que le gouvernement canadien profite de la crise actuelle pour prendre les décisions difficiles qui rendront le pays plus concurrentiel. Les dépenses d’infrastructure de deux milliards de dollars annoncées précédemment devraient avoir un effet d’entraînement positif sur l’économie, mais elle a indiqué qu’elle espérait voir des réductions pour l’impôt des particuliers et des sociétés.
« Bien entendu, la décision la plus évidente consiste à réduire les barrières commerciales provinciales, a-t-elle conclu. Au cours des derniers mois, j’ai constaté que le Canada est en fait assez protectionniste. On ne s’en targue pas, mais on fait preuve de protectionnisme les uns à l’égard des autres. L’économie gagnerait beaucoup à ce que l’on commence à faire tomber ces barrières. »