« La règle du 50-50-90 : chaque fois que vous avez 50 % de chance d’avoir raison et 50 % de chance d’avoir tort, vous avez 90 % de chance de vous tromper. »
– Andy Rooney (1919 – 2011), auteur américain pour la radio et la télévision
Enfin, c’est terminé! Après les élections aux États-Unis, les marchés boursiers ont célébré les perspectives de réductions d’impôt (en particulier de nouvelles réductions d’impôt sur les sociétés) et d’augmentation des dépenses budgétaires. Le marché boursier canadien leur a légèrement emboîté le pas. Notamment, de la fin de septembre au 6 novembre, l’indice composé S&P/TSX a progressé de 2,7 %, comparativement à 2,9 % pour l’indice S&P 500.
Les taux obligataires ont bondi, ce qui a entraîné des pertes pour les investisseurs en titres à revenu fixe, une tendance qui a commencé plusieurs semaines avant le jour des élections. En date du 6 novembre, l’indice des obligations universelles FTSE Canada était en recul de 1,3 % depuis le 30 septembre, mais demeurait en hausse de 2,9 % pour l’année.
Trump 2.0
En ce qui concerne les marchés financiers, ce sont les impôts et les tarifs douaniers qui retiennent le plus l’attention après la victoire de Donald Trump comme président désigné et la possibilité d’une main mise des républicains sur le Congrès. Les entreprises américaines s’attendent en outre à un assouplissement de la réglementation puisque les républicains ont repris le contrôle du Sénat qui est chargé de confirmer la nomination des membres du cabinet et des autorités réglementaires. Les républicains devront avoir un contrôle total sur le Congrès pour que celui-ci puisse adopter les politiques fiscales et les mesures budgétaires. Au moment de la rédaction de cet article, les résultats de la Chambre des représentants étaient toujours en attente.
Les promesses de réductions d’impôt des sociétés sont positives pour les actions américaines. Un calcul rapide montre une hausse d’environ 5 % du bénéfice par action de l’indice S&P 500 si le taux d’imposition est abaissé de 21 % à 15 % pour les sociétés qui produisent des biens aux États-Unis (y compris les divisions de sociétés étrangères exerçant leurs activités en sol américain).
Ces nouvelles mesures de relance supplémentaires ne sont toutefois pas seulement positives. Les baisses d’impôt et les dépenses proposées pourraient faire exploser le déficit budgétaire – déjà projeté à 6,5 % du PIB en 2025 – à 8 %, voire plus. Compte tenu de la hausse des déficits, des tarifs douaniers et des nouvelles mesures de relance économique, les taux obligataires à long terme pourraient continuer de progresser, malgré la baisse des taux d’intérêt à court terme décrétée par la Réserve fédérale américaine.
Dur coup pour les obligations
Après les élections, le taux des obligations du Trésor américain à 10 ans a dépassé 4,4 %, faisant grimper ce taux d’intérêt baromètre de plus de 80 points de base depuis la fin de septembre. Si le taux des obligations du Trésor à 10 ans demeure inférieur à 5 % ou près de ce niveau, nous n’entrevoyons pas d’effet d’entraînement sur l’ensemble du marché boursier, mais une hausse marquée qui le porterait à 5,5 % ou plus se traduirait probablement par une réévaluation à la baisse des actions. Il ne s’agit pas de notre scénario de base, mais nous y voyons un risque extrême si les républicains venaient tout rafler.
Les taux des obligations canadiennes ont également augmenté, mais moins que leurs homologues américaines. L’écart entre les taux des obligations canadiennes et américaines à 10 ans a dépassé 1 %. Il n’a jamais été aussi grand depuis 35 ans (le taux est inférieur au Canada). Les détenteurs d’obligations canadiennes ont donc subi un choc moins important. Par ailleurs, les coûts d’emprunt demeurent sûrs dans l’ensemble Canada. Fait important pour le marché de l’habitation, le taux des obligations à 5 ans du gouvernement du Canada, qui sert de référence pour les taux hypothécaires, est légèrement au-dessus de 3 %, mais toujours en baisse de plus d’un point de pourcentage depuis l’an dernier.
À la mi-septembre, les taux obligataires tenaient compte d’une inflation et d’une croissance trop faibles et de trop nombreuses réductions de taux par la banque centrale. Désormais, ils reflètent mieux l’inflation et la croissance économique réelles et les trajectoires probables des banques centrales. Les investisseurs se réjouiront d’obtenir à présent plus de revenus de leurs titres à revenu fixe.
Répercussions pour le Canada : le pays ne craquera pas sous la pression
La monnaie canadienne a été frappée de plein fouet. La valeur du huard est passée sous la barre des 72 cents US, un creux qui n’avait pas été atteint depuis plusieurs années.
Les tarifs douaniers et la dépréciation du huard pourraient également exercer une pression à la hausse sur les prix, mais comme la croissance de l’économie canadienne est inférieure à son potentiel, l’inflation devrait être suffisamment maîtrisée pour que la Banque du Canada demeure en mode assouplissement.
Le président désigné Trump se targue d’être un bon négociateur et a comparé les tarifs douaniers à un outil pour arriver ses fins. Sous son administration, les tarifs pourraient être étonnamment minimes (de simples outils pour conclure des accords) ou, à l’autre extrémité du spectre, engendrer des guerres commerciales et des mesures de représailles interminables qui provoqueraient des perturbations économiques. Son approche à l’égard des tarifs demeure une source importante d’incertitude.
Le Canada est probablement mieux placé que d’autres grandes économies pour composer avec le deuxième mandat de quatre ans de Donald Trump. Au bout du compte, la solidité de l’économie américaine est le facteur le plus important pour le Canada, peu importe qui dirige le pays. Néanmoins, le Canada devra sans doute gérer diverses sources de tension pour maintenir des relations diplomatiques et commerciales mutuellement avantageuses avec les États-Unis, qui restent de loin notre principal partenaire commercial, puisque 75 % de nos exportations y sont acheminées.
La renégociation en 2026 de l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), qui a succédé à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), sera probablement difficile, étant donné que l’objectif est de cibler l’excédent commercial croissant du Mexique avec les États-Unis, ce qui pourrait causer des dommages collatéraux au Canada. L’excédent commercial du Canada avec les États-Unis s’élève à plus de 8 milliards de dollars, et est principalement attribuable aux marchandises (pétrole, métaux) et aux véhicules automobiles. Les marchandises revêtent une importance stratégique pour les États-Unis et les véhicules sont produits par des sociétés américaines. Compte tenu des négociations commerciales précédentes, les États-Unis forceront probablement le Canada à faire certaines concessions (notamment à augmenter ses dépenses auprès de l’OTAN), mais nous nous attendons à ce qu’elles soient relativement minimes par rapport à l’ensemble des relations commerciales nord-sud.
Le plan de M. Trump visant à assouplir la réglementation et à diminuer l’impôt des sociétés peut influencer les décisions d’investissement des entreprises et rendre les marchés américains plus attrayants. Cela alimentera la conversation sur la politique industrielle canadienne, le climat d’investissement des entreprises, l’impôt sur les gains en capital et les problèmes de productivité, surtout lors des prochaines élections canadiennes. Des améliorations peuvent être réalisées sur tous ces fronts au Canada, et les pressions exercées par les États-Unis pourraient faire bouger les choses. Tout changement apporté sans qu’il en coûte quelque chose sera bien accueilli (élimination des formalités administratives). Des déficits plus importants pourraient être tolérés si les dépenses servent vraiment à améliorer la productivité (infrastructures). Il serait toutefois mal avisé d’imiter notre voisin sur d’autres décisions budgétaires.
Retour à la normale
La politique ne définit pas l’économie, mais peut tout au plus légèrement l’influencer. L’économie mondiale maintiendra la même trajectoire qu’elle empruntait avant le 5 novembre et c’est elle qui dictera l’allure des marchés financiers, beaucoup plus que la politique. Nos décisions de placement reposent toujours d’abord sur les données fondamentales de la croissance économique et de l’inflation, leur effet sur les bénéfices des sociétés et les taux d’intérêt.
Quant aux élections américaines, ce qui importe le plus c’est qu’elles soient terminées. L’incertitude entourant les élections paralysait les entreprises et les ménages. Les entreprises se disaient capables de s’adapter à tout ce que pouvait leur réserver l’une ou l’autre des administrations. Il leur suffisait d’en connaître les détails et elles agiraient en conséquence. Une partie de cette incertitude est maintenant dissipée.
La croissance mondiale se porte bien. Les économies sensibles aux hausses des taux d’intérêt peinent à se relever, mais elles y arriveront lorsqu’elles commenceront à ressentir les effets des réductions de taux. L’inflation diminue, tout comme les coûts d’emprunt. La Chine pourrait stimuler son économie de façon énergique. Les prévisions de croissance des bénéfices des sociétés demeurent solides, ce qui est de bon augure pour les marchés boursiers à l’approche de 2025.
Aux États-Unis, l’inflation continue de baisser; l’emploi et la croissance économique ralentissent. En octobre, nous avons constaté un rajustement de la vitesse et de l’ampleur de l’évolution de ces éléments. L’inflation a baissé moins rapidement, l’emploi s’est détérioré aux États-Unis, mais pas de façon dramatique, et la croissance économique a été plus vigoureuse que prévu. Selon les premières observations des répercussions de la victoire des républicains, l’inflation pourrait rester un peu plus élevée, tout comme la croissance économique. Dans ces circonstances, la Fed aurait raison de maintenir les taux d’intérêt un peu plus élevés. La Fed ne dit pas qu’il n’y aura plus de réductions, mais plutôt qu’elles seront moins nombreuses et peut-être plus lentes à arriver. Selon les probabilités actuelles, le taux des fonds fédéraux se retrouverait dans une fourchette comprise entre 3,75 % et 4 % d’ici septembre 2025. Au Canada, le taux de référence se situerait entre 2,75 % et 3 %, six mois plus tôt.
Les prévisions de bénéfices restent solides
Aux États-Unis, la dernière ronde de publication des bénéfices des sociétés s’est bien déroulée, mais sans plus. En Europe, la croissance des bénéfices des entreprises a été supérieure aux attentes. Or, les indices boursiers européens ont reculé, mais ont rendu les valorisations de ces entreprises plus attrayantes que celles de leurs homologues américaines, dans un contexte où l’on s’attend à ce que la croissance économique demeure faible en Europe.
Ce sont les marchés chinois qui ont inscrit la baisse la plus importante. Il n’est pas étonnant que les marchés aient reculé étant donné leur forte progression à la suite de l’annonce du plus imposant bouquet de mesures de relance annoncé en septembre par le gouvernement chinois depuis la pandémie. Cependant, le manque de détails est ensuite venu plomber l’enthousiasme que l’annonce avait suscité. Les actions chinoises et européennes ont plongé après les élections américaines; une réaction prévisible aux menaces tarifaires de Trump.
La plupart des économistes considèrent les tarifs douaniers comme une mauvaise politique. Cependant, des contrepoids pourraient en atténuer les répercussions. Bien que les tarifs douaniers constituent une taxe pour les pays qui les imposent (les Américains, dans ce cas-ci), l’appréciation du dollar américain (qui est déjà vigoureux) viendra un peu contrebalancer leurs effets. De même, les exportateurs assujettis aux tarifs devraient enregistrer une baisse de la demande, mais leurs bénéfices seront quelque peu protégés par la faiblesse de leur monnaie : les montants en dollars américains sont plus élevés une fois convertis en dollars canadiens, en yens ou en euros pour les sociétés non américaines qui déclarent des bénéfices dans leur monnaie locale.
Valorisations : Rigueur et discernement
Les valorisations (la relation entre le cours des actions et les bénéfices des sociétés) demeurent sous surveillance sur les marchés boursiers, qui continuent de progresser. Le marché est une machine à voter à court terme, mais à long terme, c’est une balance. En fait, les valorisations témoignent à court terme de la confiance des investisseurs qui oscille entre la peur et la cupidité. À long terme, les valorisations sont importantes, car le prix payé pour un actif détermine votre taux de rendement.
Les valorisations de l’indice S&P 500 sont élevées. Les chiffres sont toutefois faussés par l’influence des sociétés qui composent le groupe des sept magnifiques (Apple, NVIDIA, Microsoft, Alphabet, Amazon, Meta et Tesla). En moyenne, ces actions se négocient à 34 fois les bénéfices prévisionnels. Tesla affiche un multiple de 90 et Nvidia de 43, tandis que les autres affichent des multiples compris entre 20 dans le cas d’Alphabet et 30 dans le cas d’Apple. Deux points à retenir : ce ne sont pas toutes les sociétés (même les poids lourds) qui sont chères, et certaines sociétés se négocient à des cours élevés pour une bonne raison (ce sont vraiment des entreprises de qualité).
Outre ces sociétés à très grande capitalisation, les valorisations sont attrayantes dans d’autres secteurs du marché boursier américain, ainsi qu’au Canada, en Europe, au Japon et dans certains segments des marchés émergents.
Nous ne pouvons faire fi des valorisations de certaines actions américaines. Habituellement, les valorisations ne peuvent pas guider à elles seules nos décisions en matière de placement. Surtout, nos portefeuilles ne sont pas uniquement composés d’actions américaines, et nos placements dans les actions américaines n’incluent pas seulement des sociétés de l’indice S&P 500. Nos gestionnaires investissent l’actif du portefeuille dans un large éventail de secteurs et trouvent des occasions dans des sociétés de diverses tailles. Nous faisons preuve de rigueur et de discernement à l’égard de nos placements dans les actions américaines.
Notre stratégie : Équilibrée, avec une préférence pour les actions
Nous sommes bien placés pour la conjoncture actuelle. Nous avons résisté à la tentation de négocier pour tirer parti de l’élection, en prenant soin de ne pas céder aux excès d’anxiété et aux appels nous pressant tous de nous mettre à l’abri. Nous avons réduit le poids de certains segments vigoureux et augmenté la pondération de ceux qui, selon nous, seraient bien placés pour en profiter. Nous continuons de surpondérer les actions aux États-Unis et au Canada, et nous sommes patients à l’égard de nos actions à petite capitalisation, qui ont grimpé d’environ 10 % jusqu’aux élections.
Nous sous-pondérons les titres à revenu fixe, mais surpondérons les obligations de sociétés de catégorie investissement, dont le rendement est près de deux fois celui des obligations d’État sur 12 mois.
Le mot de la fin : Une question de probabilité
Nous vivons dans un monde de probabilités. Nos décisions en matière de répartition tactique de l’actif sont fondées sur des analyses et des recherches d’experts. Ils font l’objet de débats animés parmi les professionnels chevronnés qui évaluent les divers scénarios et leur attribuent des probabilités. À la lumière de cette analyse de scénarios pondérée en fonction des probabilités, nous prenons des décisions tactiques pour répartir l’actif de façon à accroître le rendement ou, accessoirement, à réduire les risques.
C’est ainsi que nous avons décidé de surpondérer les actions canadiennes et américaines depuis de nombreux trimestres. Un rapport des analystes de Goldman Sachs a récemment attiré beaucoup d’attention en raison du rendement annualisé de 3 % anticipé pour les 10 prochaines années pour l’indice S&P 500. Hormis les nombreuses occasions de sélection active d’actions que nous observons, et ce, dans un vaste éventail de sociétés américaines, la probabilité d’enregistrer un taux de rendement annualisé de 3 % sur 10 ans est très faible, et cela ne s’est produit que 9 % du temps depuis 1935. Nous préférons donc nous en tenir aux 91 %.
Peut-être que les analystes de Goldman Sachs se sont seulement concentrés sur les placements dans des actions américaines et ont mis tous leurs œufs dans le panier de l’indice S&P 500. Ce n’est pas notre cas.
Si l’intention d’Andy Rooney était bien de nous taquiner avec son adage sur les 90 % d’erreur, nous pouvons tout de même y retrouver un certain fond de vérité. De notre côté, nous ne laissons rien au hasard. Chacune de nos décisions de placement repose sur une approche équilibrée, bien diversifiée, objective et dénuée d’émotion.