« La géographie a fait de nous des voisins. L’histoire a fait de nous des amis. L’économie a fait de nous des partenaires. Et la nécessité a fait de nous des alliés. »
John F. Kennedy, 35e président des États-Unis, discours devant le Parlement canadien, 17 mai 1961
Le bon début d’année en janvier est désormais compromis par la guerre commerciale déclenchée par les États-Unis. Les droits de douane sur la Chine sont levés, mais le Canada et le Mexique ne bénéficient que d’un répit temporaire. Le niveau d’incertitude demeure élevé et les manchettes peuvent secouer les marchés à tout moment.
Nous vous conseillons de rester calme. Les réactions de panique et impulsives à toute catastrophe du marché ne sont jamais le meilleur comportement à adopter. Une réaction mesurée est particulièrement appropriée compte tenu du rythme et de la fluidité de la situation actuelle.
Les marchés boursiers mondiaux ont terminé le mois de janvier dans le vert. Les marchés autres que ceux des États-Unis (oui, ceux-là mêmes qui sont menacés par les tarifs douaniers) ont surpassé les marchés boursiers américains. L’indice composé S&P/TSX a progressé de 3,3 %. L’indice Euro Stoxx 600 a enregistré une hausse de 8 % tandis que le S&P 500 a gagné 2,7 %. L’indice de référence d’actions du Mexique, l’autre membre du « cercle d’amis » à 25 % du président Donald Trump, a grimpé de 3,4 %.
Les entreprises, les consommateurs et les marchés monétaires, boursiers et obligataires réagissent avec le niveau d’incertitude inhérent à tout choc. Cette situation comporte un niveau unique d’ambiguïté additionnelle qui nécessite une vigilance accrue à l’égard des réactions émotionnelles. S’agit-il toujours d’une tactique de négociation? Quelles contestations judiciaires seront lancées? Quelle influence les réactions du public ou des entreprises peuvent-elles avoir sur la situation?
Tout cela n’était-il pas censé être du bluff?
Compte tenu du penchant de Trump pour la conclusion d’ententes, de la réalité autodestructrice des tarifs douaniers et de la faiblesse des arguments selon lesquels le Canada méritait d’être puni (malgré les réponses récentes et significatives de ce pays sur les drogues et la frontière), on s’attendait à ce que le président déclare une forme de victoire et renonce aux tarifs douaniers. C’est ce qui s’est passé avec le récent revirement de Trump quant à la menace d’imposer des tarifs douaniers à la Colombie. L’annonce subséquente de M. Trump d’un sursis de 30 jours des tarifs douaniers pointe également dans cette direction.
Les blessures auto-infligées par les tarifs douaniers pourraient être considérées comme un respect nécessaire des promesses faites durant la campagne électorale. Si le président Trump croit que le monde ne le prend pas au sérieux, il se sent peut-être acculé. Non seulement par ses alliés commerciaux, mais aussi par tout le monde sur toutes les promesses : la Chine, la Russie, l’Iran, avec le Panama et le Groenland qui observent. L’objectif pourrait être d’instiller suffisamment de peur dans l’esprit des autres pour qu’une brève guerre commerciale nord-américaine soit la seule chose nécessaire. Cela pourrait expliquer les montagnes russes de la semaine dernière et sa position extrême de non-négociation intransigeante, attisée par des volte-face jusqu’à la dernière minute.
Le président, qui est connu pour accorder une grande importance à l’opinion du dernier qui a parlé, ne dispose pas encore d’un cabinet complet. Jusqu’à présent, certains des membres de son cabinet, dont la nomination n’a pas été confirmée, se sont montrés moins va-t-en-guerre sur le plan commercial. Certains ont récemment laissé entendre que les menaces tarifaires à l’encontre du Mexique et du Canada s’estompaient; des fuites ont indiqué que certains membres de l’état-major de la Maison-Blanche espéraient ralentir le calendrier et modérer la portée des mesures. Les va-t-en-guerre peuvent un jour avoir le plus d’influence, tandis que les esprits plus rationnels peuvent l’emporter l’autre jour.
Est-ce légal? N’avons-nous pas conclu un accord de libre-échange?
La justification des tarifs douaniers par M. Trump n’est pas fondée sur les échanges commerciaux en soi. Il a déclaré qu’ils ont pour objet de mettre fin à l’immigration illégale et à la consommation de fentanyl en provenance du Mexique et du Canada. L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) ne retire pas au président le pouvoir de prendre de mesures en vertu d’autres lois américaines. Le président invoque l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA). Il existe deux théories. La première, c’est qu’il s’agit simplement d’une ruse pour encaisser l’argent des tarifs douaniers. La nouvelle administration a déclaré que les tarifs douaniers renforceraient les finances de la nation alors qu’elle réduit les impôts sur le revenu; le fait d’inclure vos deux principaux partenaires commerciaux fait avancer les choses. C’est peut-être vraiment une question de frontière. Le Canada et le Mexique ont réussi à obtenir un sursis en promettant d’atténuer les problèmes frontaliers pour satisfaire le président. On ne sait pas très bien ce qui motive fondamentalement le président. Cependant, si les tarifs douaniers sont réellement motivés par la frontière, ou si les conséquences l’emportent sur les revenus, comme l’affirment de nombreux économistes, cela permettrait de revenir sur une partie ou la totalité des tarifs douaniers en sauvant la face. Il est également possible de découpler la politique tarifaire entre le Canada et le Mexique, d’autant plus que l’ampleur des problèmes de drogue et de migrants varie considérablement entre la frontière nord et la frontière sud.
Ensuite, c’est que les tarifs généraux constituent une application singulière et largement invérifiée de l’IEEPA. Si les tarifs douaniers sont imposés, nous nous attendons à ce qu’ils donnent lieu à des poursuites judiciaires de la part de divers groupes sectoriels. Si les tarifs douaniers sont un moyen de se procurer de l’argent, les tribunaux devraient voir les faits sur les échanges commerciaux, les balances commerciales et la sécurité frontalière apparaître au grand jour et contredire les diverses allégations fausses défendues haut et fort jusqu’à présent. Les poursuites judiciaires pourraient avoir un effet semblable à celui produit par les tribunaux qui annulent le gel des dépenses et suspendent de fait les mesures prises par l’administration Trump, du moins temporairement. De nombreuses mesures prises par l’exécutif pendant le premier mandat de Trump ont été annulées par le pouvoir judiciaire des États-Unis, qui est constitutionnellement au même niveau que les branches exécutive et législative du gouvernement. Au fil du temps, si les tribunaux estiment qu’il est impossible d’invoquer l’IEEPA de cette manière, le risque tarifaire diminue considérablement. Nous avons vu comment les marchés financiers sont en mesure de s’adapter à la fluidité de ce contexte. Les fluctuations ont été comme prévu, causées par les manchettes, mais les marchés ont évolué de façon ordonnée compte tenu du degré d’incertitude.
Où sont les voix des Américains qui seront lésés par cette mesure?
Les acteurs sur le marché comprennent les faits. Cela contraste avec les nombreuses déclarations inexactes et totalement fausses émanant de certaines parties de l’administration Trump sur qui paie les tarifs douaniers et qui en profite. Les réactions des marchés financiers devraient constituer une importante boucle de rétroaction qui pourrait amener les États-Unis à prendre conscience de la folie de leurs méthodes. L’indice S&P 500 s’est affaibli à la fin de janvier, en plein contexte de menaces tarifaires. Ce baromètre souvent cité pour mesurer la réussite du président marque sa désapprobation.
Au-delà des actions, les entreprises américaines devront faire face à la vérité. L’analyse de Strategas Research suggère que les tarifs douaniers équivalent à une augmentation d’environ 10 % du taux d’imposition des sociétés aux États-Unis. L’ampleur de ces nouveaux tarifs douaniers est plus importante que les augmentations tarifaires imposées à la Chine en 2018 et 2019, qui représentaient environ 30 milliards de dollars américains par an. On estime que les tarifs douaniers qui viennent d’être annoncés seront cinq fois plus élevés (150 milliards de dollars américains). Les entreprises américaines ont résisté à l’époque, et l’administration Trump a apporté des changements et fait des exceptions.
Des avocats en droit commercial des deux côtés de la frontière collaborent depuis des mois avec les entreprises et multiplient les tactiques pour solliciter les éventuels processus d’exemption qui pourraient se présenter. Le secteur de l’aluminium des États-Unis exhorte déjà le président à exempter le Canada des tarifs douaniers. Le Wall Street Journal a fustigé l’administration américaine pour avoir déclenché la « guerre commerciale la plus stupide de l’histoire ». Des centaines d’économistes ont signé une lettre ouverte dans le WSJ soulignant leur « …conviction que des tarifs douaniers généralisés entraveront la croissance économique, risqueront de déclencher une guerre commerciale et causeront préjudice à long terme à l’économie. » Ils exhortent « le Congrès à ne pas adopter les tarifs douaniers proposés par l’administration et demandent instamment au président de ne pas les mettre en œuvre par un décret-loi. » Les principaux acteurs du secteur automobile mettent en garde contre des fermetures d’usine et des arrêts de production. Des chocs inflationnistes de l’offre se profilent à nouveau. Ils vont à l’encontre de la promesse électorale de Trump de juguler l’inflation. Après plus d’un demi-siècle d’intégration économique toujours plus poussée, si les tarifs douaniers sont imposés et durent plus de quelques mois, les États-Unis ressentiront les effets d’une guerre commerciale avec leurs voisins.
Répercussions pour les investisseurs
Dollar canadien
Le dollar canadien s’est déjà déprécié d’environ 10 % depuis janvier 2024 et a bondi jusqu’à un taux de 1,48 $ CA quand l’incertitude a culminé. Pour certains, cette devise est un facteur important qui aide à compenser une partie de l’incidence des tarifs, permettant aux exportateurs canadiens de réduire les prix, puisqu’ils obtiendront plus de dollars canadiens après la conversion des dollars américains reçus.
Actions
Les tarifs douaniers sont une taxe et un frein à la croissance économique. De plus, l’incertitude qui en résulte peut avoir une incidence sur l’« instinct » du capitalisme. Pour les investisseurs, l’analyse des répercussions combinées sur les bénéfices des sociétés est ce qui importe. Beaucoup trop d’inconnues nous empêchent de tirer des conclusions détaillées, mais, d’une façon directionnelle, l’incidence est négative. Toutefois, les marchés boursiers mondiaux entrent dans cette période d’incertitude avec une assise décente. Les prévisions de croissance des bénéfices sont solides et les données récentes sont étonnamment à la hausse dans une grande partie du monde. Les valorisations sur les marchés boursiers autres que ceux des États-Unis ne sont pas trop onéreuses, et certaines sont assez faibles (Chine).
Les tarifs sont une perturbation, ce qui a été le mot d’ordre des cinq dernières années ou plus. Les sociétés sont devenues très habiles à relever les défis, en particulier les problèmes de la chaîne d’approvisionnement, notamment la guerre commerciale de 2018, les fermetures liées à la pandémie de COVID-19 et la réouverture, ainsi que la guerre en Ukraine. Ajoutons à cela les fissures dans le système bancaire américain (faillite de la Silicon Valley Bank), la hausse et le repli de l’inflation, ainsi qu’un cycle coordonné de resserrement par les banques centrales mondiales. Tout cela a permis aux entreprises de se renforcer, d’être plus résilientes et d’être encore plus en mesure de relever ce nouveau défi.
Obligations
Le 29 janvier, la Banque du Canada (BdC) a abaissé ses taux d’intérêt, mais cette fois d’un quart de point seulement, ce qui a ramené le taux du financement à un jour à 3 %. Généralement reconnue comme la banque centrale la plus dynamique au monde en matière de réduction des taux, la BdC a poursuivi sur sa lancée pour la sixième réunion consécutive. Comme elle prévoyait d’abaisser encore ses taux cette année, notre banque centrale a décidé de ne pas attendre (à juste titre, selon nous). Les menaces commerciales pesaient déjà sur la confiance des entreprises et des consommateurs. Les taux de rendement obligataires ont réagi comme prévu pendant l’épisode et ont baissé de façon significative (ce qui a grandement fait grimper le cours des portefeuilles équilibrés). Ces taux réagissaient à la demande de placement refuge, au contexte de ralentissement économique potentiel et aux attentes d’accélération des mesures d’assouplissement de la BdC.
Notre stratégie : équilibrée, avec une préférence pour les actions
Nous continuons d’adopter une approche rigoureuse et patiente. Nous surpondérons les actions américaines et canadiennes. Nous conservons une position neutre à l’égard des marchés développés internationaux (Europe et Japon) et des marchés boursiers des pays émergents. Comme le marché boursier s’est redressé, nous avons réduit notre surpondération des actions pour nous assurer qu’elle demeurait appropriée, et nous avons investi le produit de la vente dans des actifs de préservation du capital plus sûrs.
Notre exposition aux actifs américains est principalement composée d’actions américaines, avec une part de titres à revenu fixe et d’actifs non traditionnels. Tous ces actifs ne sont pas couverts contre le risque de change. Si ces placements demeurent attrayants en soi, l’exposition au dollar américain donne un coup de pouce aux portefeuilles des investisseurs canadiens à l’heure où le huard est sous pression.
Le marché boursier canadien n’est pas l’économie canadienne. Des menaces tarifaires visent des segments comme l’acier, les produits forestiers, les produits alimentaires et les pièces d’automobiles. Ce sont des segments importants pour l’économie canadienne, mais leur poids sur le marché boursier canadien est minime. L’ensemble de ces segments ne compte que pour moins de 5 % de l’indice S&P/TSX. Les segments les plus importants sont ceux des métaux et des mines, de l’énergie et des services financiers, qui occupent respectivement une part de 12 %, de 17 % et de 33 % de l’indice. Bien entendu, ceux-ci sont importants pour l’économie canadienne, mais ils occupent une place démesurée à la TSX. Les entreprises du secteur des ressources entrevoient des répercussions tarifaires plus légères; les services financiers n’en subiront aucune.
À noter que de nombreuses entreprises canadiennes dans les secteurs assujettis à des tarifs ont des usines, des installations et des activités importantes aux États-Unis, lesquelles ne sont pas assujetties à des tarifs.
Nous prévoyons une baisse des taux des obligations canadiennes à moyen et à long terme, ce qui entraînera une appréciation du cours de nos positions obligataires de la plus haute qualité. C’est le rôle que jouent ces obligations dans nos portefeuilles équilibrés.
Le mot de la fin : aucune réaction impulsive
Les marchés boursiers ont une capacité historique à résister aux chocs externes, notamment les guerres, les actes terroristes, les pandémies et d’autres calamités économiques. Le président Trump dit vouloir un âge d’or pour l’Amérique; beaucoup estiment que les États-Unis ont connu cet âge d’or quand JFK était président.
Nous pouvons nous attendre à de vives réactions à court terme, car les nouvelles informations sont prises en compte dans les évaluations et les perspectives, mais il est important de ne pas laisser la peur ou les émotions influencer la prise de décisions. Nous vous conseillons de rester calme. Comme toujours, le maintien d’un portefeuille bien diversifié dans l’ensemble des catégories d’actif, des secteurs et des émetteurs individuels est la meilleure défense contre les épisodes de volatilité des marchés.
Adressez-vous à votre directeur de compte BMO si vous avez des questions ou si vous souhaitez discuter de votre portefeuille.