« L’incertitude est la seule certitude, tout comme savoir vivre dans l’insécurité est la seule sécurité. »
– John Allen Paulos, professeur américain de mathématiques
Après le rendement décevant des marchés financiers en avril, les marchés haussiers ont fait leur retour en mai, affichant de solides gains du côté des actions et des obligations. De fait, un investisseur au profil équilibré qui détient un portefeuille composé à 60 % d’actions mondiales diversifiées et à 40 % d’obligations canadiennes a obtenu un gain mensuel de 2,5 %, ce qui est plus que nécessaire pour compenser le repli de 1,7 % d’avril.
Quatre événements clés se sont déroulés en mai.
La certaine exubérance qui s’était installée s’est quelque peu dissipée en avril, ce qui a préparé le terrain pour une reprise des marchés.
Les données économiques ont continué de pointer vers un ralentissement de l’économie américaine (une bonne chose lorsque le problème est l’inflation). Ailleurs, mais surtout en Chine et en Europe, l’activité économique a continué de reprendre de la vigueur, alors qu’elle a été plutôt atone au Canada.
Aux États-Unis, l’inflation a légèrement diminué après quatre mois où elle s’est montrée étonnamment élevée. L’inflation annuelle selon l’indice des prix à la consommation (IPC) aux États-Unis a baissé, passant de 3,5 % à 3,4 %. Ailleurs, l’inflation baisse rapidement jusqu’au point où elle pourrait être trop faible dans certains pays (ce n’est pas notre scénario de référence, mais nous commençons à en tenir compte). Sur la scène géopolitique, on observe un certain réchauffement, surtout dans les relations avec la Chine.
Enfin, ce qui demeure primordial est que les bénéfices des sociétés sont toujours au rendez-vous.
L’ensemble de ces facteurs a fait décoller les marchés boursiers, dont un certain nombre ont renoué avec leurs sommets historiques.
Canada
L’économie canadienne a commencé l’année de belle façon, mais des signaux contradictoires émergent. La création d’emplois demeure vigoureuse, mais elle suit simplement le rythme de croissance de la population. Le taux de chômage s’est maintenu à 6,1 %, un sommet inédit depuis plus de deux ans. Les capacités excédentaires du marché du travail commencent à freiner la croissance des salaires, un élément que la Banque du Canada (BdC) surveille de près, puisqu’il s’agit de l’une des conditions préalables à une réduction des taux d’intérêt.
L’économie canadienne montre des signes de fatigue en raison de la hausse des coûts d’emprunt. Les ventes au détail ont stagné pendant sept mois, l’activité manufacturière est faible et le marché canadien de l’habitation n’accélère pas malgré l’arrivée du printemps et un certain assouplissement des taux hypothécaires. Tous ces éléments combinés laissent présager une réduction des taux par la BdC.
De plus, l’inflation est enfin dans la zone verte propice aux réductions de taux. En avril, les trois mesures d’inflation de la BdC s’établissaient sous la barre du 3 %. Sans les frais d’intérêts hypothécaires, l’inflation serait inférieure à 2 %. Les investisseurs tablent sur deux ou trois baisses de taux en 2024. Nous nous attendons à ce que ce soit plutôt trois.
Les effets des réductions de taux sur le huard
Si la BdC commence à réduire ses taux avant la Réserve fédérale américaine (la Fed), qu’est-ce que cela aura comme effet sur notre huard? À moins de 74 cents, le dollar canadien a déjà atteint un niveau où l’on s’attend à ce que la banque centrale du Canada agisse en premier et de façon plus convaincante. Nous ne voyons pas une forte baisse de la devise dans un scénario où le Canada agirait en premier.
Toutefois, le ton de la déclaration et de la conférence de presse de la BdC peut changer les choses. À plus long terme, le dollar pourrait atteindre 76 cents, mais cela risque de prendre un certain temps. Habituellement, le taux de la BdC peut aller jusqu’à 2 % au-dessus et 1 % en dessous de celui de la Réserve fédérale. Un affaiblissement du huard s’apparente à un certain assouplissement de la politique monétaire pour le Canada, de sorte que, dans la pratique, nous nous attendons à un écart limité au cours du présent cycle. Comme le taux au Canada est déjà inférieur d’un tiers de point de pourcentage à celui aux États-Unis, nous pensons que la BdC pourrait décréter deux réductions d’un quart de point avant que la Fed agisse. Au-delà de cela (et pour obtenir la troisième réduction de taux dans nos prévisions), la Fed devrait emboîter le pas au Canada. Nous croyons que la Fed baissera son taux à deux reprises au cours de la deuxième moitié de l’année.
États-Unis
Le résultat souhaité est un ralentissement de l’économie américaine qui cimente la baisse continue de l’inflation. Un tel scénario permet à la Fed de réduire ses taux d’intérêt de 0,25 % à une ou deux reprises en 2024.
Favoriser à la fois une croissance économique plus lente et des bénéfices robustes pour les sociétés n’est pas une mince affaire. Plusieurs facteurs pourraient engendrer ce scénario idéal. Le ralentissement de la croissance économique aux États-Unis n’est pas une récession. L’économie est simplement moins en surchauffe. Les marges bénéficiaires et la productivité peuvent arrimer les solides bénéfices à une croissance économique moindre, ce qui s’annonce bien dans les deux cas.
La croissance des bénéfices de l’indice S&P 500 a des ramifications qui dépassent les États-Unis. De nombreuses sociétés de l’indice S&P 500 sont des multinationales, si bien qu’environ 40 % des revenus de l’indice proviennent de l’extérieur des États-Unis. Il est important de la souligner, car la croissance économique des autres pays montre des signes d’accélération (après la récession que de nombreux pays ont connu) et contribue à compenser les revenus américains qui pourraient être inférieurs.
Au bout du compte, force est de constater que les données sont mitigées, ce qui n’est pas étonnant puisque l’économie se remet des perturbations causées par la pandémie, d’une période d’inflation et d’un cycle de resserrement abrupt de la Fed. Dans l’ensemble, la situation en mai pointe désormais vers un scénario d’atterrissage en douceur. Les marchés reflètent plutôt bien ce scénario, mais nous prévoyons d’autres gains pour les actions et les obligations si cela devait se concrétiser.
International
Dans l’ensemble, la situation s’améliore au chapitre de la croissance économique et l’inflation continue de baisser. L’annonce par le premier ministre britannique, Rishi Sunak, d’une élection éclair a un peu freiné l’élan des marchés des actions et des obligations au Royaume-Uni. L’élection élimine toute possibilité que la Banque d’Angleterre baisse les taux d’intérêt à court terme.
Dans de nombreux cas, les manchettes concernaient la Chine. Bien que mitigées, elles étaient généralement positives. Le président des États-Unis, Joe Biden, a imposé de nouveaux tarifs sur certaines importations chinoises clés, pendant que la Chine menait des exercices militaires près de Taïwan. Ici aussi, l’histoire se répète, et les propos conciliants du président de Taïwan, Lai Ching-te, cherchaient à calmer le jeu.
En revanche, des discussions commerciales ont eu lieu entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud pour une première fois depuis quatre ans. Beijing a continué de mettre en place des mesures ciblées pour relancer son économie, notamment pour soutenir son secteur immobilier en difficulté. De plus, elle a annoncé qu’elle offrirait une aide financière supplémentaire à ses principaux secteurs industriels (semi-conducteurs) dans le cadre de ses efforts pour atteindre l’autonomie, puisque les États-Unis cherchent à restreindre la croissance de la Chine.
Perspectives des marchés boursiers
Nous avons qualifié le repli du marché en avril de sain et de justifié. Maintenant que les marchés boursiers ont repris tout le terrain perdu, il est normal de se demander ce qui a changé. Sont-ils tout simplement revenus à leur point de départ? La réponse est non. Lorsque les marchés boursiers se comportent bien, des replis sont nécessaires pour dissiper la complaisance des investisseurs et les séparer des spéculateurs. C’est un peu ce qui s’est passé pendant le repli d’avril. Cependant, la frénésie provoquée par certaines actions mèmes (comme celle de GameStop ou d’AMC, dont les gains sont alimentés sur Internet) fait de nouveau les manchettes, ce qui nous amène à nous demander si d’autres épisodes de volatilité se profilent à l’horizon. La diminution des volumes de négociation durant l’été et les perturbations entourant les élections américaines pourraient servir de catalyseurs.
Cependant, certains changements positifs ont aussi été observés depuis le début de l’année. L’incertitude à l’égard de l’économie s’estompe. La croissance économique s’accélère en Europe et en Chine. La croissance des bénéfices des sociétés est au rendez-vous, et les perspectives de bénéfices s’améliorent à l’échelle mondiale. Par conséquent, la progression des actions s’étend dans un plus grand nombre de secteurs et de régions, ce qui est de bon augure.
En mai, l’indice composé S&P/TSX, l’indice S&P 500, l’indice EuroStoxx 50 et l’indice FTSE 100 du Royaume-Uni ont progressé respectivement de 2,6 %, de 4,8 %, de 1,3 % et de 1,6 %. L’indice MSCI Chine a gagné 2,1 % durant le mois. L’indice japonais Nikkei et l’indice MSCI Marchés émergents (en $ US) ont tout juste avancé de 0,2 % et de 0,3 %, respectivement.
Nous entrevoyons toujours un contexte favorable aux actions jusqu’à la fin de 2024. Nous relevons notre cible de l’indice S&P/TSX pour la fin de l’année à 23 500 points et maintenons notre cible de l’indice S&P 500 à 5 400, avec un scénario plausible de 5 700.
Perspectives du marché obligataire
Nous sommes plus optimistes à l’égard des titres à revenu fixe à ce stade-ci que nous l’étions au début de l’année. Puisque l’inflation a recommencé à ralentir et que la croissance économique se fait moins vigoureuse aux États-Unis, les taux de rendement des obligations nord-américaines ont légèrement reculé. L’indice des obligations universelles FTSE Canada a progressé de 1,8 %. Les investisseurs en actions ont bien accueilli le léger recul des taux de rendement, mais comme le repli a été modéré, les investisseurs en obligations s’en sont également bien tirés. Un panier diversifié de titres à revenu fixe procure un taux de rendement nettement supérieur à 4 % et est susceptible de bien protéger le portefeuille en cas d’aversion pour le risque.
Notre stratégie – Équilibrée avec surpondération des actions
Comme le scénario d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine refait surface et que l’on s’attend à une reprise de la croissance couplée à un recul de l’inflation à l’extérieur des États-Unis, notre répartition de l’actif entre les actions et les obligations demeure favorable.
La probabilité qu’un scénario sans atterrissage se concrétise (où la croissance économique est plus forte, mais où l’inflation pourrait rester élevée) renforce les arguments en faveur des actions au détriment des obligations. Les actions profitent d’un contexte économique plus solide. Les actions de sociétés qui alimentent l’inflation procurent une forme de couverture contre l’inflation (les sociétés qui augmentent leurs prix pour protéger leurs marges bénéficiaires jouent un rôle de premier plan dans l’inflation).
Un scénario d’atterrissage en douceur, où la croissance économique se situe entre 1 % et 2 % et laisse une marge de manœuvre suffisante pour des réductions de taux d’intérêt, est également un contexte plutôt favorable pour les actions. De plus, un tel scénario permet aux positions obligataires de contribuer davantage au rendement global du portefeuille.
Ainsi, nous continuons de surpondérer les actions, surtout les actions canadiennes et américaines. Nous accordons une pondération neutre aux marchés développés internationaux (Europe et Japon) et nous sous-pondérons les marchés boursiers émergents.
Au cours des deux dernières années, nous avons continué de surpondérer les actions à divers degrés, comme c’est le cas à l’heure actuelle où le marché boursier est en forte progression depuis octobre 2023. Depuis le 31 octobre 2023, le rendement total en dollars canadiens des marchés développés du Canada, des États-Unis et à l’international est en hausse de plus de 20 %. Par conséquent, les actions de certaines de nos solutions affichent désormais une surpondération qui va au-delà de notre zone de confort. En mai, nous avons procédé à un rééquilibrage en vendant des actions américaines et canadiennes et en achetant des titres à revenu fixe.
Nous avons saisi des occasions du côté des actions américaines et canadiennes pour rééquilibrer une partie de nos pondérations de sociétés à grande capitalisation de façon à retrouver une surpondération plus égale des actions nord-américaines.
Ces opérations ont touché bon nombre de nos clients. Même si la répartition de l’actif se fait en fonction d’un profil global, la situation de chaque client est unique. Votre conseiller en placement peut avoir adapté son approche selon vos besoins.
Précisons que nous avons acheté des obligations dans le but de réduire la surpondération de nos actions américaines et canadiennes, qui est maintenant moins importante.
Même si nos opérations relèvent uniquement d’une décision de placement, nous avons également tenu compte des conséquences fiscales et choisi de les effectuer plus tôt que tard en raison des changements proposés à l’impôt sur les gains en capital.
Le mot de la fin – Quelques réflexions sur notre approche de budgétisation du risque
Nous adoptons une approche de budgétisation du risque en matière de répartition de l’actif. Cela signifie que si nous prenons des risques dans un secteur, nous en tenons compte dans la composition des autres actifs. La répartition globale de l’actif du portefeuille est une combinaison du profil risque-rendement de toutes ses composantes. Étant donné que le budget de risque vise à établir une saine surpondération des actions, nous choisissons d’équilibrer ce risque à l’aide de la protection relative que procurent les titres à revenu fixe de base (et les liquidités, dont la pondération a aussi été rehaussée dans certains cas cette année). Nous croyons qu’il s’agit de la meilleure stratégie pour se prémunir contre les baisses advenant que l’économie, la politique, la géopolitique ou les marchés financiers nous jouent des tours.
Récemment, nous avons vendu des actions et acheté des titres à revenu fixe de base, une combinaison d’obligations d’État et de sociétés de grande qualité. Dans certaines de nos solutions d’obligations canadiennes, nous avons réduit la pondération des obligations de sociétés de catégorie investissement au profit des titres d’État.
Notre décision de vendre des actifs plus risqués et d’acheter des actifs plus sûrs ne reflète en aucun cas un changement d’orientation dans nos perspectives. Nous demeurons optimistes à court terme dans un contexte où nous entrevoyons des occasions de produire des rendements corrigés du risque équitables dans les liquidités, les obligations, les actions et certains placements non traditionnels.
Nous croyons simplement, tout comme le mathématicien John Allen Paulos, que l’incertitude est une certitude. Nous devons l’accepter et en tirer parti, ce qui nous permettra de constater à quel point tout est possible. Nos activités de négociation tirent parti de l’incertitude et s’inscrivent dans notre approche habituelle, prudente, bien diversifiée et équilibrée en matière de gestion de portefeuille.