« Il ne suffit pas de parler de paix. Il faut y croire. Et il ne suffit pas d’y croire. Il faut y travailler. »
– Eleanor Roosevelt, première dame des États-Unis, activiste et diplomate
Le mois d’octobre a été le troisième mois consécutif au cours duquel le marché boursier a enregistré une baisse. Le mois a commencé par des événements horribles qui se sont produits en Israël et à Gaza, qui se sont ajoutés à la tragédie en Ukraine et à d’autres situations géopolitiques difficiles. La croissance économique ailleurs qu’aux États-Unis est lente. En revanche, l’économie américaine est très vigoureuse, ce qui fait grimper les taux obligataires.
C’est ce qui nous a inspiré le titre du bulletin de ce mois-ci : Le cinq malchanceux.
Un trio d’indicateurs clés aux États-Unis s’élève à 5 %. Premièrement, le taux des fonds de la Réserve fédérale (Fed) – qui dicte le coût de l’argent dans l’économie américaine – s’établit à 5,5 %. Ensuite, les taux de rendement des obligations d’État américaines à 10 ans et à 30 ans ont atteint un sommet de 5 % durant le mois (le taux à 10 ans n’a jamais été aussi élevé depuis les 16 dernières années). Ces taux de rendement servent de référence pour les coûts d’emprunt des sociétés et des ménages. Enfin, le PIB réel des États-Unis a progressé à un rythme annualisé de 4,9 % (nous arrondissons) au troisième trimestre, une croissance que les marchés financiers et la Fed considèrent comme trop élevée. Une économie en surchauffe signifie que les taux d’intérêt resteront élevés plus longtemps que prévu.
Les États-Unis sont le seul pays où les taux obligataires font l’objet de pressions à la hausse en raison de la robustesse des facteurs économiques fondamentaux. Au sud de la frontière, la forte croissance réelle, la résilience exceptionnelle de la consommation des ménages, le marché de l’emploi serré, le boom de la construction manufacturière et les déficits budgétaires colossaux du gouvernement sont autant d’indices qui montrent que les taux de rendement (ainsi que les taux d’intérêt) devront rester élevés plus longtemps. Selon nous, le maintien des taux de rendement élevés plus longtemps finira par ralentir la croissance économique aux États-Unis, à mesure que les consommateurs, les entreprises et les gouvernements réaliseront à quel point il est difficile de se passer de l’argent gratuit. Pour le moment, les trois continuent de dépenser – en particulier l’oncle Sam – ce qui alimente les craintes que l’inflation reste élevée et que la Fed doive relever à nouveau les taux d’intérêt ou les maintenir encore plus longtemps.
Malheureusement, les taux d’intérêt aux États-Unis ont donné le ton aux taux d’intérêt et aux taux obligataires à l’échelle mondiale. À peu près partout ailleurs, la croissance économique vacille et l’inflation baisse (à un rythme étonnamment rapide dans certaines régions). En octobre, l’indice annualisé des prix à la consommation (IPC) en Europe a été beaucoup moins élevé que prévu et est passé de 4,3 % à 2,9 %. La Chine est en pleine période de déflation. L’inflation demeure élevée au Canada, mais l’IPC a reculé de 0,1 % en septembre, ce qui a fait baisser le taux annuel de 4 % à 3,8 %. Les taux obligataires canadiens ont évolué à l’inverse de la tendance américaine (une exception). En raison de la baisse des taux canadiens, l’indice des obligations universelles FTSE Canada a enregistré un gain mensuel de 0,4 %. La divergence entre les taux obligataires américains et canadiens a lourdement pesé sur le dollar canadien, qui s’est déprécié de 2,2 % au cours du mois pour s’établir à 0,721 $ US, soit 1,388 $ CA le dollar américain.
Thèmes économiques
L’objectif est de réduire l’inflation, ce qui permettra aux banques centrales d’assouplir leur politique monétaire avant que la croissance économique ne ralentisse trop. Ailleurs qu’aux États-Unis (le Royaume-Uni étant une exception), les banques centrales sont en possession de nombreuses preuves que leurs politiques actuelles de taux d’intérêt élevés freinent la croissance et l’inflation.
Or, certaines questions importantes demeurent sans réponse. La croissance économique vigoureuse persisterat-elle aux États-Unis? Le cas échéant, cela maintiendra-t-il l’économie mondiale à flot? L’économie mondiale peut-elle rester à flot d’ici à ce que l’économie américaine ralentisse, ce qui ouvrirait la voie à une certaine réduction des taux d’intérêt? Au Canada, la réponse à ces questions devrait être oui. Cependant, des données récentes sèment des doutes.
En général, la croissance du PIB canadien et américain se suit de très près, ce qui n’est pas le cas dernièrement. Aux États-Unis, la croissance de près de 5 % au troisième trimestre contraste fortement avec la croissance nulle prévue au Canada. Au cours des 30 années qui ont précédé la pandémie de COVID-19, il n’y a eu que deux trimestres au cours desquels la croissance aux États-Unis a autant dépassé celle au Canada. Qui plus est, cette situation ne s’est pas produite l’espace d’un seul trimestre. L’économie américaine a progressé de 2,9 % sur 12 mois, tandis que le PIB canadien a légèrement augmenté de 0,6 %, selon notre estimation pour le troisième trimestre. Un écart annuel de plus de 2 % se situe à la limite supérieure de la normale des 60 dernières années.
Deux raisons évidentes expliquent une telle divergence : l’endettement élevé des ménages canadiens et les dépenses publiques inférieures. Les ménages canadiens sont plus sensibles à la hausse des coûts d’emprunt que les ménages américains (en raison des différences historiques et structurelles des marchés de l’habitation). Les consommateurs canadiens gardent maintenant leur portefeuille dans leurs poches. D’une année à l’autre, les dépenses de consommation réelles aux États-Unis ont augmenté de 2,4 %, tandis que les dépenses réelles au Canada ont légèrement augmenté de 1,6 %.
En ce qui concerne les dépenses publiques, Washington surpasse Ottawa. Selon les données les plus récentes, le déficit aux États-Unis s’est élargi pour atteindre les 1 700 milliards de dollars, soit plus de 6 % du PIB. Au nord de la frontière, le déficit a été (étonnamment) moins élevé que prévu, s’élevant à 35,3 milliards de dollars canadiens, ou à 1,3 % du PIB (en baisse par rapport à 3,6 % l’année précédente). Un léger resserrement de la politique budgétaire dans un contexte de plein emploi et d’inflation est la voie normale et plus prudente à emprunter. C’est à cause de la générosité du gouvernement américain que la Fed est contrainte de porter les taux d’intérêt plus haut et/ou de les maintenir plus longtemps qu’elle ne le ferait autrement. Pour le moment, la largesse du gouvernement stimule la croissance aux États-Unis et, par conséquent, le dollar américain. Or, cela a un effet défavorable sur tous les autres pays en raison du maintien des taux élevés plus longtemps.
Thèmes des marchés financiers
Le resserrement de la politique monétaire a pour objectif d’entraîner un ralentissement de la croissance et un recul de l’inflation. Jamais il n’a été question que les marchés boursiers et obligataires s’en tirent à bon compte. Pourtant, 22 mois après le début du processus, nous sommes plus près de la fin que du début. Selon nous, la forte hausse des taux obligataires américains est le principal facteur de faiblesse des marchés boursiers depuis juillet, même si d’autres facteurs méritent d’être mentionnés. La guerre entre Israël et le Hamas est de toute évidence une source d’aversion pour le risque, tout comme les risques de paralysie du gouvernement américain et le dysfonctionnement causé par le remplacement du président de la Chambre des représentants des États-Unis. Tout cela se produit au début de l’automne, une période où les actions ont toujours été fragiles.
Pour les marchés financiers, l’enjeu le plus urgent et le plus durable est la possibilité que les taux obligataires demeurent élevés plus longtemps. Cependant, les taux ont probablement déjà atteint un niveau assez élevé. Toutes les grandes banques centrales ont décidé de mettre sur pause leurs hausses de taux lors de leurs plus récentes réunions. De plus, les taux des obligations américaines à 10 ans ne sont pas restés au-dessus de la barre des 5 %, redescendant rapidement après avoir atteint leur sommet initial.
Le récent repli de l’indice S&P 500 l’a officiellement fait entrer en territoire de correction (en baisse de 10 % par rapport à son dernier sommet). Les reculs et les corrections ne sont pas inhabituels; les investisseurs en actions devraient s’attendre à ce que cela se produise à peu près tous les 8 à 18 mois. Pour l’indice S&P 500, il s’agit de la première correction en un an, mais plus tôt en 2023, nous avons observé des baisses de plus de 7 % à deux reprises. Hormis ces reculs habituels, l’indice S&P 500 a progressé de 17 % par rapport au creux de l’an dernier et de 8 % en 2023.
Contrairement à ce qui se produit d’habitude, l’indice composé S&P/TSX n’a pas été en proie à la même volatilité. Il continue d’évoluer dans une fourchette qui n’est pas entrée en territoire baissier en 2022 ni en zone de correction de 10 % au cours de la dernière année. Cette absence de volatilité n’est pas pour autant synonyme de réjouissance, car l’indice S&P/TSX a reculé de 2,6 % pour l’année. Comme nous l’avons souligné dans notre commentaire du mois dernier, les deux marchés (rendements totaux en dollars canadiens) sont sur le point de récupérer la totalité des pertes associées à cette turbulence qui a commencé il y a 22 mois. Ils y vont seulement chacun à leur rythme.
Les taux de rendement élevés plus longtemps ne sont plus tant alimentés par l’inflation. Ils sont attribuables à la forte croissance économique réelle, qui permet généralement aux sociétés d’enregistrer des bénéfices supérieurs aux attentes, ce qui est précisément le cas ici. Pour le trimestre en cours, la croissance des bénéfices de l’indice S&P 500 s’établit à 2,5 %, ce qui est supérieur au recul prévu de 5 %. Les bénéfices de l’indice S&P/TSX dépassent les attentes de 9 %, mais demeurent en baisse de 2,5 % par rapport à l’an dernier. Fait encourageant, les prévisions de croissance des bénéfices pour 2024 sont de l’ordre de 7 % à 10 %.
Récapitulation du marché boursier régional
Les marchés boursiers régionaux ont inscrit des baisses oscillant autour de 3 %. Pour le mois, l’indice composé S&P/TSX a reculé de 3,4 %, l’indice S&P 500 de 2,2 %, l’indice composé NASDAQ de 2,8 %, l’indice boursier européen Stoxx 50 de 2,7 %, l’indice boursier japonais Nikkei 225 de 3,1 % et l’indice boursier MSCI Chinede 4,4 %.
Notre stratégie
En octobre, nous avons réduit notre position dans les obligations à rendement élevé. Depuis le début de l’année, les obligations à rendement élevé (prêts à des sociétés dont la cote de crédit est inférieure) se sont bien comportées compte tenu de la hausse des taux de rendement des obligations d’État, de la diminution des marges bénéficiaires et d’une récession des bénéfices des sociétés. Cependant, le resserrement des conditions de crédit et un ralentissement de l’économie à plus long terme ne sont pas des conditions idéales pour les emprunteurs à rendement élevé. Les sociétés sont protégées par le fait qu’elles ont emprunté massivement à des taux d’intérêt avantageux avant que les taux ne commencent à grimper en flèche en 2021. Ces obligations devront être refinancées. À partir de 2024, l’arrivée en bloc des échéances présente un risque pour elles.
Le produit de la vente d’obligations à rendement élevé a été réinvesti dans des obligations de sociétés et des obligations provinciales et gouvernementales de meilleure qualité. Nous avons ainsi diminué notre profil de risque global, mais seulement de façon minime. Cette transaction visait davantage à accroître la valeur relative au sein des titres à revenu fixe qu’à modifier notre position globale à l’égard du risque.
Nous maintenons une exposition aux actifs à risque par l’entremise de notre surpondération des marchés boursiers nord-américains. Les actions offrent une couverture contre l’inflation, et profitent toujours de la croissance – deux scénarios que nous considérons comme étant plus probables qu’une récession. Le pire scénario est celui où la baisse de la croissance et de l’inflation serait trop prononcée. Si ce scénario devait se concrétiser, nous nous attendons à ce que les taux obligataires chutent et à ce que nos positions en titres à revenu fixe produisent des gains importants.
Selon notre scénario de référence, les marchés boursiers se redresseront après leur récente faiblesse. Cela se produira à mesure que la peur et l’aversion pour le risque (alimentées par les politiques et les événements géopolitiques) se dissiperont, que la hausse des coûts d’emprunt freinera la frénésie de dépenses publiques et que l’inflation continuera de ralentir. Les taux obligataires pourront alors se stabiliser ou reculer légèrement. Ce scénario pourrait prendre plusieurs mois avant de se concrétiser. À ce moment, les rendements boursiers pourraient atteindre de 10 à 15 % et les rendements obligataires pourraient tourner autour de 5 %. La patience et le courage des investisseurs équilibrés sont actuellement mis à l’épreuve; cependant, c’est maintenant que l’on sème les graines qui nous permettront de récolter les fruits d’un rendement solide, corrigé de l’inflation (et fiscalement avantageux).
Le mot de la fin – La paix exige de la conviction et des efforts
Les conséquences sur le plan humain au Moyen-Orient et en Ukraine sont terribles. Ces événements attisent la volatilité des obligations et des actions à court terme, mais de tels chocs exogènes n’ont généralement pas d’incidence à long terme sur les marchés. Le cycle économique et les taux d’intérêt sont de loin les facteurs de rendement des actifs financiers les plus importants.
Ce n’est pas seulement notre opinion. Nous surveillons les données publiées en plus de nous appuyer sur le poids des données historiques pour formuler nos meilleures perspectives sur l’avenir. Les chercheurs ont examiné la réaction de l’indice S&P 500 à 25 des crises géopolitiques les plus importantes depuis la Seconde Guerre mondiale. En moyenne, l’indice S&P 500 a chuté d’environ 4 %, atteignant un creux au bout de 15 jours, avant de se redresser complètement en 33 jours. Selon d’autres recherches remontant à 1940, la baisse médiane enregistrée au cours du mois précédant un événement géopolitique était de 2 %, suivie par un gain de 10 % l’année suivante.
Les actifs les plus sensibles à une flambée des tensions géopolitiques sont les taux de rendement des obligations américaines, l’or et le dollar américain. Comme elle se produit au Moyen-Orient, les prix du pétrole sont également un facteur clé. Les récentes fluctuations des cours de ces actifs donnent à penser que le marché privilégie la prudence, et non la peur extrême que le conflit se propage. Après une brève flambée des prix du pétrole et un repli des taux obligataires causé par une ruée vers les titres refuges, le prix du pétrole a clôturé le mois en baisse de 11 %, alors que les taux de rendement des obligations américaines ont grimpé, contre toute attente. L’or a progressé de 8 % depuis les attaques, mais le dollar américain a fait du surplace en octobre, après trois mois de progression. Si les craintes avaient été plus grandes, ces actifs refuges auraient probablement été plus vigoureux.
Nous surveillons la situation ainsi que les répercussions potentielles sur l’économie et le marché. Des douzaines d’événements passés l’ont prouvé : dans la grande majorité des cas, la réaction initiale négative est suivie d’une reprise. Comme toujours, nous recommandons fortement de ne pas réagir de façon excessive à la volatilité actuelle. La clé est de maintenir un portefeuille bien diversifié, qui comprend des liquidités, des obligations, des actions de grande qualité et certaines stratégies de placement non traditionnelles.
Veuillez communiquer avec votre conseiller en placement si vous avez des questions ou si vous souhaitez discuter de vos placements.