« Si j’avais le choix, ce qui n’est pas le cas, je choisirais de meilleures conditions politiques et l’obscurité littéraire. »
– Margaret Atwood, romancière, poète, critique littéraire et inventrice canadienne
Les gros titres inquiétants étaient courants durant le premier trimestre de 2025. Les paroles et les actes de la nouvelle administration américaine ont suscité beaucoup de cœurs lourds et de surprises désagréables (mais n’oublions pas la célébration joyeuse de la Coupe des quatre nations après une victoire de 3 à 2 en prolongation).
Les déclarations et les menaces relatives aux droits de douane se poursuivront pendant un certain temps. En outre, on craint de plus en plus que les nouvelles politiques en matière de commerce et d’immigration de l’administration américaine (droits de douane et réduction de la main-d’œuvre) et les restrictions budgétaires du gouvernement (DOGE) n’entraînent un ralentissement de l’économie américaine qui pourrait se propager au reste du monde.
Malgré tout, au premier trimestre, les marchés financiers n’ont pas été aussi pessimistes et moroses que l’humeur générale ambiante. Le portefeuille représentatif des investisseurs canadiens, bien équilibré et diversifié, a légèrement progressé pour l’année. Nous implorons les clients de reconnaître cette réalité, de redoubler d’efforts pour séparer les émotions – compréhensibles – des décisions de placement, et de s’en tenir à une approche logique. La réalité de ce qui est préférable pour la santé à long terme de nos portefeuilles de placement peut sembler froide et désagréable : c’est la nature même des marchés financiers. Nous devons nous concentrer sur la réalité et faire fi des émotions dans la gestion de nos portefeuilles.
Qu’entendons-nous par « rester concentré sur la réalité »? Nous ne suggérons pas d’être jovialiste et de se cacher la tête dans le sable, dans l’espoir que tout cela se révèle n’être qu’un mauvais rêve. Non, nous préconisons plutôt un boycottage rigoureux des conjectures et des rumeurs, ainsi que le rejet des déclarations fugaces, peu fiables ou erronées qui proviennent de tous les types de médias. Ce que le président Donald Trump et ses conseillers promettent de faire est souvent incompatible avec l’atteinte de leurs objectifs et de la prospérité à long terme. Ce qui est réalisable, durable et conforme aux lois de l’offre et de la demande dans un système capitaliste moderne sera révélé en temps voulu.
Il est aussi possible que nous n’ayons pas à attendre trop longtemps pour que les choses changent. Dans moins de quatre ans, nous assisterons à certains changements. Les élections spéciales et de mi-mandat aux États-Unis, dans 20 mois, entraîneront probablement des changements de sièges. Les choses pourraient aussi changer plus rapidement si un ou plusieurs des éléments suivants se manifestaient : le Congrès (les détenteurs constitutionnels des instruments de revenu), le système judiciaire et, surtout, l’opinion publique américaine lorsque les répercussions négatives des droits de douane feront augmenter les prix, détruiront des emplois et feront plonger les actions.
Les chiffres parlent
Les marchés financiers américains, qui représentent un baromètre de l’ensemble du pays, indiquent que le mouvement MAGA n’est pas sur la bonne voie. Au premier trimestre, tous les grands indices boursiers américains (S&P 500, moyenne Dow Jones des valeurs industrielles, NASDAQ et Russell 2000 des sociétés à petite capitalisation) ont essuyé des reculs allant de 4 % à 11 %. Les taux des obligations américaines ont diminué malgré les pressions inflationnistes imputables aux droits de douane. Cela montre que les craintes d’un ralentissement de l’économie sont plus grandes que celles d’un effet inflationniste. Bien entendu, les deux sont néfastes.
Au premier trimestre, ce qui a été remarquable c’est la rotation vers d’autres marchés au détriment des États-Unis. Les marchés chinois sont arrivés en tête de liste (l’indice MSCI Chine a progressé de 15 % depuis le début de l’année), l’indice boursier Euro Stoxx 50 a avancé de 7 % et l’indice boursier FTSE UK 100, de 5 %. Pour sa part, l’indice composé S&P/TSX a dégagé un modeste gain de 0,8 %. Cette situation montre une fois de plus que la diversification entre les marchés boursiers et les catégories d’actif fonctionne. Nous croyons dans les deux, et nous les mettons en pratique; cette approche nous permettra de traverser cette période d’incertitude.
Pourquoi tout cela se produit-il?
Ce qui est particulièrement désolant : si tant de gens, de même que les précédents historiques et toutes les théories économiques insistent sur le fait que les tarifs douaniers n’atteindront pas leurs objectifs, pourquoi le président Trump les impose-t-il? La réponse : il semble que l’administration américaine veuille utiliser les droits de douane comme un outil universel pour atteindre de multiples objectifs, malgré les conséquences négatives.
Les droits de douane imposés par les États-Unis visent à réaliser certaines ambitions clés : changements géopolitiques englobant la sécurité continentale, y compris l’Arctique; forcer les alliés à consacrer plus d’argent à leur propre défense; rivaliser avec la Chine ou la contenir dans des secteurs clés ou liés à la sécurité nationale; augmentation des revenus pour les États-Unis; renaissance du secteur manufacturier américain; et corriger les importants déséquilibres commerciaux des États-Unis.
Apporter des changements géopolitiques est un objectif louable et se produit à vive allure. Les actions européennes ont bondi, en partie grâce aux annonces de dépenses budgétaires dans la zone euro. Le Canada est dans la même situation. Parmi les aspects positifs de la situation actuelle, mentionnons un changement d’attitude favorable à l’égard du respect de nos engagements envers l’OTAN, le renforcement de la sécurité frontalière et l’élimination de notre complaisance envers une piètre productivité.
L’idée voulant que les droits de douane généreront des revenus, entraîneront le rapatriement du secteur manufacturier et corrigeront les déficits commerciaux doit être considérée avec scepticisme en fonction d’une théorie économique solide et de l’expérience historique. L’utilisation des droits de douane pour générer d’importants revenus est un concept désuet. En pratique, les droits de douane représentent un outil inefficace sur le plan économique. Autrement, tout le monde y aurait recours depuis des siècles. C’est bien beau de dire que les étrangers régleront les factures, mais ce n’est pas si simple et les choses ne fonctionnent pas vraiment ainsi.
Aucun pays ne produit la totalité (ou une quantité suffisante) des intrants nécessaires pour tout ce qu’il fabrique. Dans une certaine mesure, la géographie et les économies d’échelle rendent nécessaires à elles seules les échanges commerciaux. On estime que 45 % des importations américaines sont des intrants qui entrent dans la production manufacturière américaine.
Les guerres commerciales ne réduisent pas les déficits commerciaux, et ceux-ci ne sont pas corrélés à la création d’emplois dans le secteur manufacturier. Selon le Wall Street Journal, entre 2000 et 2024, la balance commerciale de l’Allemagne est passée d’un déficit correspondant à 1,5 % du PIB à un excédent de 5,8 %, mais la part des emplois en usine au sein de l’économie est passée de 20 % à 16 %. Le journal cite une étude menée en 2021, qui a montré que la diminution des emplois dans le secteur manufacturier était similaire dans les centres industriels américains et allemands, malgré des différences marquées au chapitre de la balance commerciale.
Un excédent commercial peut être considéré comme le fait que les États-Unis sont suffisamment riches pour acheter de nombreux biens que le reste du monde produit à un moindre coût. Ces coûts moins élevés sont attribuables en grande partie aux salaires. Les emplois à faible salaire servant à la fabrication de produits bon marché à faible valeur ajoutée sont-ils vraiment si souhaitables? Cette situation n'est pas optimale, d'autant plus que les États-Unis ont atteint le plein emploi. Elle entraîne un décalage entre la main-d’œuvre et le capital américains, que les marchés libres allouent actuellement à des usages plus productifs.
L’absence de droits de douane est peu vraisemblable, et certains droits peuvent être imposés pour de bonnes raisons. Le commerce doit être équitable et libre. Les tricheurs, les voleurs industriels, ceux qui exploitent la main-d’œuvre ou l’environnement méritent d’être pénalisés par des droits de douane, tout comme ceux qui utilisent aujourd’hui ces droits de façon déraisonnable à l’égard d’autres pays. Des droits de douane véritablement réciproques pourraient obliger d’autres pays à réduire leurs droits de douane existants, ce qui réduirait les barrières tarifaires à l’échelle mondiale.
Les échanges commerciaux de plus en plus libres, qui tirent parti d’avantages concurrentiels, alimentent la hausse des niveaux de vie depuis plus d’un demi-siècle. Ils font grossir la part du gâteau de tout le monde. La façon dont ce gâteau est divisé est toujours une source de conflit, mais le recul par rapport à ces pratiques éprouvées aurait un coût pour tout le monde, y compris pour les Américains. Les droits de douane n’ont pas causé suffisamment de dommages ni été imposés assez longtemps pour que leurs répercussions négatives touchent le portefeuille des consommateurs américains. Lorsque ce sera le cas, le temps voulu dont nous avons parlé s’accélérera probablement.
Que nous réserve l’avenir?
La logique et les éléments décrits ci-dessus renforcent notre conviction que la trajectoire politique actuelle, qui provoque des turbulences sur les marchés financiers, ne pourra pas durer. Ce n’est qu’une question de temps avant que les réalités économiques ne s’imposent et que le système politique ainsi que le public américains n’en subissent les conséquences négatives.
Les marchés financiers manifestent déjà leur mécontentement. On pourrait soutenir que si la nouvelle administration agit aussi rapidement et de façon aussi désordonnée, c’est qu’elle est consciente du peu de temps dont elle dispose pour entreprendre des actions plus chaotiques. Cette trajectoire représente peut-être un choix délibéré visant à créer des perturbations et à effrayer tant les véritables adversaires que les alliés. Des alliés dont elle veut modifier le comportement, avec lesquels elle envisage de négocier, convaincue qu’elle se trouve ainsi en position de force à la table des négociations.
Le président Trump et ses conseillers mettront en œuvre (peut-être et parfois brièvement) les options les plus agressives pour montrer leur détermination. Pendant des mois, les marchés financiers et les capitales mondiales ont accueilli leurs déclarations d’un haussement d’épaules collectif; après tout, combien de fois peut-on crier au loup? En fait, la réaction relativement faible des marchés financiers pourrait donner lieu à des mesures encore plus audacieuses. Un recul de 10 % de l’indice S&P 500 n’est pas rare et peut être rapidement effacé. Si c’est le cas, nous devrons peut-être supporter un signal négatif encore plus fort de la part des marchés financiers, combiné à une réaction politique, judiciaire et publique, avant de voir un changement d’attitude suffisant pour éviter de nouveaux dégâts.
Les choses peuvent se rétablir
En l’absence de perturbations politiques, l’économie et les marchés financiers mondiaux sont bien placés pour afficher des résultats positifs. On s’attend à un certain ralentissement de l’économie américaine. Cette évolution serait la bienvenue, car le rythme de croissance a été exceptionnellement élevé et l’inflation n’est pas encore maîtrisée.
La nouvelle administration américaine a promis de réduire les impôts et d’alléger la réglementation. Le monde connaît un essor des dépenses en immobilisations dans le domaine de l’intelligence artificielle et d’autres technologies, associé à la construction de centres de données et d’infrastructures pour soutenir cet appétit insatiable pour plus de technologie. Ces conditions se traduisent par des gains de productivité, qui devraient s’accentuer, et qui alimenteront la vigueur des marchés financiers. Ailleurs, en particulier au Canada, le puissant effet de relance de l’abaissement des taux d’intérêt commençait à se répercuter et à stimuler l’économie. L’intensification des mesures de relance économique de la Chine représente un autre élément positif. Tous ces éléments s’inscrivent dans la lignée des marchés boursiers vigoureux des dernières années : en effet, l’amélioration de la croissance et la diminution des taux de rendement se sont traduites par un contexte très positif. La clarté de la politique commerciale américaine des États-Unis pourrait favoriser le retour de l’optimisme. En fait, cet optimisme tente vaillamment de perdurer malgré l’incertitude.
Notre stratégie – Équilibrée, avec encore une préférence pour les actions, et une orientation plus neutre
Nos portefeuilles sont bien équilibrés et tous, y compris nos portefeuilles entièrement composés d’actions ou axés sur les actions, sont bien diversifiés. Au cours du marché haussier des deux dernières années et demie, nous avons réduit la pondération des actions en élaguant régulièrement nos placements en actions pour acheter des obligations. Dans de nombreux portefeuilles, cette situation a été observée pas plus tard qu’à la mi-février.
De plus, tout au long du marché haussier, nous avons rééquilibré à plusieurs reprises les pondérations des actions régionales, là encore pas plus tard qu’en novembre et à la mi-février. En réalisant des profits en cours de route, nous avons évité que la pondération des actions américaines ne devienne excessive. Le maintien rigoureux de la pondération des actions canadiennes et des actions internationales particulièrement performantes nous a bien servi au premier trimestre. La sélection active d’actions a aussi continué d’ajouter de la valeur. Dans les portefeuilles équilibrés, les titres à revenu fixe ont procuré une certaine stabilité. Compte tenu de l’incertitude, nous n’envisageons pas pour le moment d’adopter une répartition de l’actif plus audacieuse.
Le mot de la fin – mettre les choses en perspective
Jusqu’à présent, nous ne considérons pas la récente réaction des marchés financiers comme inhabituelle ou terriblement alarmante. Les chocs économiques potentiels ne donnent pas automatiquement lieu à des chocs extrêmes sur les marchés financiers.
Les ralentissements économiques ne sont pas inhabituels; ils se produisent à quelques années d’intervalle. La croissance économique a ralenti en 2012, en 2015 ainsi qu’en 2018-2019. Aucun de ces ralentissements n’a entraîné un recul de 25 % des actions américaines ou canadiennes.
Les craintes à l’égard de la croissance peuvent faire reculer les actions de 10 % à 15 %. L’indice S&P 500, un marché évalué de manière très optimiste, a déjà subi une correction de 10 % et, fait encourageant, a rebondi à deux reprises par rapport à ce niveau techniquement significatif. Cela s’est produit à de nombreuses reprises au cours des 10 à 15 dernières années. Certains segments du marché américain, en particulier ceux qui avaient connu les plus forts « rebonds Trump » à la fin de 2024, étaient mûrs pour un nettoyage.
Comme l’a souligné Margaret Atwood, nous ne pouvons pas changer les conditions politiques actuelles, peu importe à quel point nous aimerions être en mesure de le faire. Cependant, dans un contexte difficile et imprévisible, la réaction revêt une importance cruciale. Nos décisions de négociation ne sont pas fondées sur les gros titres. Nous évaluons la situation et agissons, mais nous ne réagissons jamais de façon excessive. D’après notre expérience, le plus sage consiste à composer avec la volatilité, et non pas à la contourner. Même si les circonstances sont particulières à ce moment où Donald Trump est au pouvoir, une vue d’ensemble permet de mettre les choses en perspective. Nous sommes bien placés pour faire face à ce contexte de volatilité.