Avocat du diable – nom Personne qui soutient un argument opposé ou un argument qui n’est pas populaire pour faire réfléchir les gens.
– Cambridge Dictionary
Le 3 mars, le président américain Donald Trump a donné suite à sa menace d’imposer des droits de douane sur les biens canadiens et mexicains, ce qui a marqué le début d’une guerre commerciale en Amérique du Nord. Le Canada a riposté en imposant des contre-tarifs. Le Mexique ne bouge pas pour l’instant, dans l’espoir qu’il reste de la place pour la négociation. Le 4 mars, l’administration américaine a laissé entendre qu’un compromis pourrait être possible.
Les droits de douane sont néfastes pour l’ensemble de l’économie nord-américaine; ils risquent d’accroître l’inflation et de réduire la croissance économique. Dans des circonstances limitées et ciblées, les droits de douane peuvent être des instruments utiles. Cependant, s’il s’agissait d’un outil économique viable et utile à grande échelle, est-ce que les économies capitalistes démocratiques modernes ne les utiliseraient pas déjà largement? L’expérience acquise au cours de quelques siècles dans le domaine économique montre que les droits de douane n’ouvrent pas la voie à la prospérité.
À la fin de février, une crise tarifaire a pris naissance sur les marchés financiers : le marché boursier nord-américain s’est replié et les taux obligataires ont chuté. L’accès de faiblesse du marché boursier est compréhensible. La réaction du marché obligataire est plus nuancée. Il y avait de l’incertitude quant à savoir quelle conséquence de l’imposition des droits de douane pèserait le plus sur les investisseurs en obligations : l’inflation ou le ralentissement de la croissance? Si l’inflation était la principale préoccupation, elle devrait entraîner l’augmentation des taux de rendement; si le préjudice à la croissance était la plus grande préoccupation, il devrait provoquer une diminution des taux obligataires. La diminution des taux obligataires en février donne à penser qu’un ralentissement de la croissance représente la principale préoccupation.
Il est important de remettre en contexte les fluctuations du marché. L’indice composé S&P/TSX et l’indice S&P 500 ont atteint de nouveaux sommets au début de 2025, étant donné que la conjoncture macroéconomique et la croissance des bénéfices des sociétés étaient plutôt favorables. De ces sommets à la clôture du marché le 4 mars, les actions canadiennes avaient reculé d’environ 5 %. L’indice S&P 500 a baissé de 6 % à la suite de la publication de données économiques américaines indiquant un léger ralentissement de l’économie et de l’intensification de la rhétorique sur les droits de douane. Il est bon de voir que les marchés financiers en prennent note et estiment à juste titre qu’il s’agit là d’éléments négatifs. Cette réaction des marchés financiers constitue une importante boucle de rétroaction pour l’administration américaine. Les décideurs l’utiliseront pour calibrer l’ampleur et la rapidité de la mise en œuvre de leur programme.
Hormis la crise des droits de douane à la fin du mois, février a été marqué par le déblocage de l’ensemble de la politique économique de Trump et par un renversement des mouvements habituels du marché, où la complaisance s’était installée. Une solide rotation vers certains facteurs défavorables à long terme s’est produite dans son sillage. Parmi les facteurs qui ont eu un effet négatif, mentionnons la vigueur du dollar américain, l’exceptionnalisme du marché boursier américain et la conviction que les droits de douane et les dépenses excessives du gouvernement américain maintiendraient l’inflation et les rendements obligataires dans ce pays à un niveau élevé. Parmi les facteurs défavorables qui ont refait surface, mentionnons le consensus général selon lequel les actions européennes sont en difficulté et qu’on ne peut investir en Chine et dans les actions chinoises.
En fait, les actions chinoises ont bondi de 11,5 % en février. Les actions européennes ont progressé de 3,3 %, ce qui a porté le cumul annuel de l’indice EuroStoxx 50 à 11,6 % en date du 28 février. Les actions canadiennes ont fait du surplace en février. Malgré les répercussions de la guerre commerciale, les reculs des marchés cette année restent modestes. À la clôture du marché, le 4 mars, les indices S&P/TSX et S&P 500 avaient respectivement cédé 0,6 % et 1,8 % depuis le début de l’année. Aux États-Unis, les opérations visant les « sept magnifiques », qui étaient sur une excellente lancée, ont fait une pause. L’indice NASDAQ, fortement pondéré en titres technologiques, a perdu 4 % en février.
Les nouvelles concernant les bénéfices des sociétés américaines ont toutefois été bonnes, ceux-ci ayant dépassé les attentes : au quatrième trimestre, la croissance des bénéfices de l’indice S&P 500 a été largement supérieure aux prévisions, et la croissance des bénéfices a été la plus forte depuis le rebond qui a suivi la pandémie de COVID-19. Notre opinion selon laquelle les bénéfices dans leur ensemble pourraient surpasser les attentes se concrétise.
Sur le plan économique, on s’attendait à ce que l’économie américaine soit (pour toujours?) solide et à ce que le reste du monde (y compris le Canada) continue d’éprouver des difficultés. Or, des fissures sont apparues en février dans la conjoncture économique américaine. De nombreuses données restent solides, mais elles perdent de la vigueur. Notre scénario de référence prévoit un ralentissement de l’économie américaine. Un ralentissement de la croissance aux États-Unis et un retour à des données plus favorables en ce qui concerne l’inflation permettront à la Réserve fédérale américaine de poursuivre l’abaissement des taux d’intérêt (l’inflation de base liée aux dépenses personnelles de consommation, qui représente la mesure privilégiée de la Fed, est passée d’un taux annuel de 2,9 % en décembre à 2,7 % en janvier). Cette situation devrait affaiblir le dollar américain, ce qui contribuera à réduire le déficit commercial des États-Unis. Elle contribue aussi à soutenir la croissance économique. Il nous est déjà arrivé d’éprouver des craintes à l’égard de la croissance. Nous ne faisons pas abstraction de la dégradation des données, mais les mises en garde sont nombreuses. Nous surveillons la situation de près.
Qu’en est-il de la croissance économique à l’extérieur des États-Unis?
Selon les données révisées, la zone euro a enregistré une croissance à la fin de 2024. Le PIB réel a progressé de 0,1 % au quatrième trimestre de 2024 (de 0,2 % en taux annualisé). Il ne s’agit pas d’une croissance fulgurante, mais sur les marchés financiers, tout est mesuré par rapport aux attentes. Les attentes à l’égard de la zone euro étaient peu élevées, de sorte que de petites victoires contre la morosité et des valorisations boursières plus faibles pourraient donner lieu à une remontée.
Les rendements supérieurs des actions chinoises en février ont été favorisés par l’évolution du contexte. Elles représentaient les titres les moins chers dans le monde. Pour différentes raisons, les investisseurs (dont nous faisons partie) ont révisé leurs pondérations en titres chinois. L’antagonisme commercial des États-Unis à l’égard de la Chine est actuellement moins virulent que prévu, et la Chine poursuit la mise en œuvre de mesures de relance économique. Un événement intéressant dans le domaine de l’intelligence artificielle, soit l’avènement de DeepSeek, a rappelé aux investisseurs qu’il n’y a pas si longtemps, les sociétés technologiques chinoises étaient les chouchous des investisseurs. Les marchés boursiers chinois ont été très affaiblis (bon nombre d’entre eux ont reculé de plus de 50 % ces dernières années). Les revirements marqués comme ceux de février sont habituels lorsqu’ils se produisent.
Le Canada arrive en tête de liste au chapitre des surprises
L’économie canadienne est dans une posture meilleure que prévu pour aborder le choc tarifaire. Il s’agit sans doute de l’économie la plus sensible aux taux d’intérêt dans le monde. Discrètement, dissimulée derrière l’attention portée à la politique intérieure et aux droits de douane, notre économie réagit à l’abaissement des taux d’intérêt et à la robustesse de l’économie américaine. Au Canada, la croissance annualisée de l’économie s’est établie à 2,6 % au quatrième trimestre de 2024, surpassant les attentes. Elle fait ressortir la meilleure demande intérieure en contexte non pandémique depuis 2017. Les dépenses importantes et sensibles aux taux d’intérêt, en particulier les ventes d’automobiles, avaient le vent dans les voiles. À l’échelle nationale, les marchés immobiliers sont stables. Le taux de chômage est élevé, mais la création d’emplois s’est accélérée au début de l’année. Pour mettre les choses en contexte, le taux de chômage actuel de 6,6 % est inférieur à la médiane de 7,0 % depuis 2000. Le taux de participation des personnes âgées de 15 à 64 ans s’établit à 80 %, soit le taux le plus élevé jamais enregistré, exception faite de l’épisode postpandémique. Malgré une légère remontée, le taux d’inflation au Canada reste parmi les plus bas parmi les pays développés. Compte tenu d’une croissance des salaires supérieure à 4 %, les salaires réels augmentent à leur rythme le plus rapide depuis au moins le début des années 1990. Par ailleurs, la faiblesse du huard stimule la compétitivité de nos exportations, les prix des produits de base sont favorables et les finances publiques sont gérables (dans une position enviable par rapport aux États-Unis).
Les bénéfices des sociétés canadiennes sont aussi supérieurs aux attentes, dans l’ensemble. Plus de 75 % des sociétés ont annoncé leurs plus récents résultats, et la croissance de 8,4 % des bénéfices de l’indice S&P/TSX dépasse les attentes de plus de 5 %. Dix secteurs sur onze ont affiché une croissance et des bénéfices supérieurs aux attentes.
Notre stratégie – Équilibrée, avec une préférence pour les actions
Nous continuons d’adhérer à une approche rigoureuse et patiente. Nous surpondérons les actions américaines et canadiennes. Nous conservons une position neutre à l’égard des marchés développés internationaux (Europe et Japon) et des actions des marchés émergents.
Nous avons profité de la vigueur du marché boursier en novembre dernier et de nouveau à la mi-février pour élaguer nos positions en actions américaines et canadiennes. Le produit de ces ventes a été investi dans des liquidités et des obligations de grande qualité, des placements sûrs. Il ne s’agit pas d’un changement d’opinion majeur, mais de la reconnaissance d’un contexte incertain. Lors de la fausse alerte en matière de droits de douane au début de février, les liquidités et les obligations de grande qualité ont procuré la protection et la hausse attendues de ces actifs sûrs. Nous avons quelque peu augmenté leur pondération pour le moment. La sécurité des obligations se maintient pendant cette période de volatilité, l’indice des obligations universelles FTSE ayant progressé de 2,6 % depuis le début de l’année au 4 mars.
Nos placements en actifs américains consistent principalement en actions américaines, avec une part de titres à revenu fixe et d’actifs non traditionnels. La plupart de ces actifs ne sont pas couverts contre le risque de change. Si ces placements demeurent attrayants en soi, l’exposition au dollar américain donne un coup de pouce aux portefeuilles des investisseurs canadiens à l’heure où le huard subit des pressions.
Le S&P/TSX n’est pas un miroir de l’économie canadienne : les services financiers, l’énergie et les matières premières représentent 60 % de l’indice. Les droits de douane sur le pétrole et les minéraux critiques sont de 10 %; dans ce cas, la monnaie aide, de même que le fait que les acheteurs américains ont peu de solutions de rechange. Les bénéfices américains du secteur financier proviennent en grande partie d’opérations domiciliées aux États-Unis, où aucun droit de douane n’est imposé. De même, il n’y a pas de droit de douane sur les activités aux États-Unis et bon nombre des plus grandes sociétés canadiennes ont d’importantes activités domiciliées au pays de l’Oncle Sam. La faiblesse du huard est difficile à avaler pour certains, mais elle stimule les exportations et gonfle les bénéfices en dollars américains, y compris les bénéfices que ces sociétés canadiennes tirent de leurs activités aux États-Unis.
Le mot de la fin – l’avocat du diable
Nous ne voulons pas minimiser l’incidence des droits de douane sur l’économie canadienne ou même sur les actions canadiennes. En effet, l’incertitude persistante à l’égard des droits de douane a entravé les investissements des entreprises au Canada. Cependant, nous avons l’impression que nos clients tirent des conclusions hâtives et expriment un niveau de crainte que nous aimerions apaiser.
Commençons par parler des droits de douane eux-mêmes. Rappelons que nous parlons de droits de douane, pas de sanctions ni d’embargos; les activités commerciales transfrontalières ne seront pas éliminées complètement. Soulignons aussi que les droits de douane portent sur les marchandises, alors que l’économie nord-américaine est fortement axée sur les services, y compris les échanges dans cette catégorie.
Bien que les droits de douane soient néfastes, plusieurs facteurs doivent être pris en considération. Premièrement, les politiques tarifaires peuvent initialement – ou éventuellement, en raison des ramifications négatives – cibler davantage certains articles ou secteurs que cette première salve. Deuxièmement, le taux de change est un important amortisseur des répercussions économiques des droits de douane : le huard a reculé de 8 % par rapport à son niveau de septembre 2024. Troisièmement, les consommateurs américains absorberont probablement une partie des droits de douane lorsqu’ils achèteront à d’entreprises canadiennes qui bénéficient d’avantages concurrentiels ou d’importantes parts de marché. Les entreprises assujetties à une plus grande concurrence intérieure aux États-Unis seront davantage touchées par les droits de douane.
Si les droits de douane persistent, nous pouvons nous attendre à une réaction de la part du Canada en matière de politique fiscale et monétaire. Celle-ci aidera les entreprises et les ménages canadiens à traverser la tempête.
Or, il se peut que cette crise ne soit qu’une tempête. Nous ne savons si les droits de douane seront imposés pendant une longue période; en effet, les réactions négatives des marchés financiers, des chefs d’entreprise et des électeurs américains pourraient inciter l’administration Trump à revoir sa position. Ce seraient nos meilleures chances de voir ces politiques malavisées être réduites ou annulées. Il y a aussi des considérations juridiques, et des contestations juridiques sont à prévoir. Le président Trump se retranche derrière ses pouvoirs en matière de sécurité nationale pour promulguer les droits de douane, alors qu’il en parle ouvertement comme des générateurs de revenus et des outils de politique industrielle. Nous ne sommes pas dupes à cet égard, mais c’est une voie à suivre.
Nous croyons que les pressions négatives croissantes finiront par générer tellement de pression que le président verra l’intérêt d’emprunter l’une des bretelles de sortie disponibles tout en criant victoire. L’expérience nous a appris qu’il y a beaucoup de place à la négociation. Même le président Trump et les républicains ont reconnu que les accords commerciaux ALENA et ACEUM ont permis d’obtenir de meilleurs résultats économiques pour les trois pays. La question de déterminer quel pays en a profité le plus pourrait faire l’objet d’un débat, mais pas celle du concept du commerce lui-même.
Parmi les bretelles de sortie disponibles, mentionnons le fait de reconnaître les mesures déjà prises par le Canada et le Mexique en matière de sécurité frontalière et d’immigration. Il est également raisonnable de penser que ces deux pays accepteraient de rouvrir les négociations sur l’ACEUM plus tôt que prévu. L’imposition de droits de douane à la Chine est une autre branche d’olivier possible. Pour le moment, ces options ne semblent pas intéresser M. Trump; par conséquent, il serait sage de conserver ces cartes jusqu’à un moment plus opportun.
Enfin, nous soutenons (sans être le diable) que l’idée de cette menace tarifaire offre certains aspects positifs. L’élan de patriotisme canadien partout au pays fait chaud au cœur. Nous avons toujours su qu’il était là en nous, mais pas aussi près de la surface. Ces émotions sont un signal d’alarme qui nous incite à examiner la manière dont nous faisons des affaires dans ce pays. Elles suscitent des discussions sur les pipelines, la politique des ressources, les relations commerciales, le commerce interprovincial, la fiscalité et la politique budgétaire, en les orientant dans des directions constructives. Cette menace externe modifie le discours sur les mesures visant à stimuler la croissance économique, l’investissement et la productivité. Nous avons l’occasion de renforcer le Canada pour en faire un meilleur endroit où investir, travailler et vivre.
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