« L’humanité a du mal à composer avec la réalité. »
― T. S. Eliot, Quatre Quatuors
Le mois d’août a ramené les marchés financiers mondiaux à la réalité, car la hausse vertigineuse des marchés boursiers s’est essoufflée. Tous les grands marchés boursiers mondiaux ont reculé en août, enregistrant des pertes de l’ordre de 1,5 % à 4 %. Les actions chinoises ont été plus durement touchées et ont fléchi de 8,5 %. Les marchés obligataires mondiaux ont clôturé le mois essentiellement au niveau où ils l’avaient commencé.
Divers facteurs ont alimenté la volatilité : la hausse des taux obligataires réels, la révision à la baisse de la note de crédit de plusieurs banques américaines, une tache à la note de crédit auparavant irréprochable du gouvernement américain, l’envolée des émissions de titres de créance américains et les difficultés qui continuent de peser sur la croissance mondiale, en particulier en Chine.
La hausse des taux de rendement réels (le taux de rendement réel est le taux de rendement d’une obligation corrigé de l’inflation) est le principal facteur qui a pesé sur les actions et les obligations au cours du mois (les cours et les taux des obligations évoluent en sens inverse). À la fin du mois, certains signes de ralentissement économique ont entraîné un repli des taux de rendement réels, ce qui a provoqué une remontée des cours des actions et des obligations qui a effacé en grande partie les pertes subies au milieu du mois.
La hausse des taux obligataires réels n’est pas un phénomène récent; car les taux oscillaient autour de 1,5 % déjà l’automne dernier après avoir évolué en territoire négatif pendant la pandémie. Cependant, les marchés ont commencé à dégringoler lorsque les taux réels nord-américains ont atteint 2 %, un niveau qui ne s’était pas vu depuis 2009. Étant donné que les taux de rendement réels témoignent en partie de la santé de l’économie, une telle hausse (au-dessus de 2 %) n’aurait pas été observée si les marchés ne s’attendaient pas à ce que l’économie américaine continue de progresser.
Or, le reste du portrait n’est pas aussi reluisant en raison de l’offre excédentaire et de la demande insuffisante de titres de créance américains. Le Trésor américain a annoncé un calendrier d’émissions de titres de créance plus lourd que prévu pour financer l’envolée du déficit budgétaire américain, qui a atteint plus de 2 000 milliards de dollars en un an. Les frais d’intérêt ont atteint récemment 14 % des recettes fiscales, une proportion qui incite habituellement les gouvernements à adopter certaines mesures d’austérité (même si ce message n’a pas encore été entendu à Ottawa ou à Washington). Le lendemain, Fitch, une grande agence de notation, a abaissé la note de crédit des États-Unis, la faisant passer de AAA à AA+, invoquant les préoccupations liées à l’endettement croissant du pays et à l’apathie à cet égard.
Au chapitre de la demande, les banques centrales ne se contentent pas de relever les taux d’intérêt; elles vendent aussi des obligations d’État qu’elles avaient achetées. Pour ce faire, il faut trouver des acheteurs pour les nouvelles et les anciennes obligations d’État. L’appétit des étrangers pour les titres de créance américains n’est plus ce qu’il était. La Russie a essentiellement réduit à zéro ses placements en obligations du Trésor, et la Chine a réduit ses placements d’à peu près le quart depuis le début de 2021. Le Japon, le plus important porteur de titres de créance américains, a réduit son exposition de 10 % au cours de la dernière année. De plus, la Banque du Japon a récemment laissé les taux obligataires monter, ce qui a rendu les obligations d’État japonaises légèrement plus attrayantes.
Les taux obligataires sont en progression depuis l’an dernier, ce qui a une incidence négative sur de nombreux actifs. Lorsque la composante du rendement réel augmente, les répercussions sont plus graves. Tout facteur qui alimente la hausse des taux obligataires (taux réels ou inflation) est une mauvaise nouvelle pour les investisseurs qui détiennent déjà des obligations. Les rendements supérieurs finiront par réparer les dommages, mais cela prend du temps.
Pour les actions, la hausse des taux de rendement pose plusieurs problèmes. La plupart des sociétés empruntent, de sorte que la hausse des frais d’intérêt gruge leurs bénéfices. De plus, les actions sont évaluées en fonction de la capacité des entreprises à générer des bénéfices. Une action d’une société est un droit de propriété perpétuel sur la croissance future des bénéfices de la société. Le cours de l’action d’aujourd’hui reflète la valeur actualisée de ces bénéfices. La valeur actualisée est calculée en fonction d’un taux d’actualisation établi selon les taux obligataires en vigueur. Mathématiquement, plus le taux d’actualisation est élevé, plus le cours actuel de l’action est bas.
Si les taux obligataires sont plus élevés en raison de l’inflation seulement, les actions ont une chance de s’en sortir – les bénéfices devraient croître grâce à l’inflation (si les sociétés ne relèvent pas les prix, il n’y aura pas d’inflation). Cependant, les actions auront du mal à se tirer d’affaire si les taux de rendement augmentent en raison de la hausse des taux réels.
Enfin, des taux obligataires réels plus élevés sont plus attrayants pour les investisseurs que des taux plus élevés simplement à cause de l’inflation. Après tout, le rendement d’une obligation qui se trouve effacé par l’inflation n’est pas « réel », car il n’a aucun effet concret sur le pouvoir d’achat d’un investisseur. Au bout du compte, ce sont les rendements réels auxquels les investisseurs devraient accorder le plus d’importance.
Les actions sont également des actifs réels; cependant, comme les obligations offrent des rendements réels plus élevés, les actions font face à une concurrence plus féroce pour attirer l’argent des investisseurs. Auparavant, les actions profitaient du fait qu’il n’existait aucune solution de rechange, mais les choses ont changé et il existe désormais une autre option.
Sur une note positive, la croissance des bénéfices des sociétés est meilleure que prévu. Les perspectives s’améliorent pour 2024. La croissance des bénéfices devrait s’élever à environ 10 % en Amérique du Nord. Selon nous, les rendements boursiers ne dépassant pas 3 %, qui ont marqué un retour à la réalité en août, ne constituent ni plus ni moins qu’une consolidation saine et normale des gains de l’année. Les marchés boursiers peuvent encore progresser au cours de la prochaine année. Par ailleurs, les taux obligataires plus élevés rendent les perspectives du marché obligataire plus attrayantes.
Canada – Toujours debout
L’indice composé S&P/TSX a reculé de 1,6 % en août. L’économie canadienne, ébranlée par les incendies, les grèves et les répercussions de la hausse des coûts d’emprunt, montre certains signes de faiblesse, mais ne menace pas de s’effondrer. Nous sommes toujours debout. La baisse annualisée de 0,2 % de l’activité au deuxième trimestre a causé un choc, car les observateurs s’attendaient à une hausse de 1,2 %. Les baisses trimestrielles ne sont pas si rares : le PIB a aussi reculé contre toute attente au quatrième trimestre l’an dernier. Selon l’équipe Études économiques BMO, cette situation devrait se poursuivre au cours des prochains trimestres, bien qu’elle maintienne son estimation de la croissance réelle de 1,1 % pour l’ensemble de 2023.
Le taux d’inflation annuel a augmenté de 0,3 % pour s’établir à 3,3 %, tandis que les mesures de base sont restées inchangées, à 3,6 % et à 3,7 %. Les ventes au détail ont progressé, stimulées par l’automobile. Le marché de l’habitation se stabilise; les ventes et les nouvelles inscriptions sont à peu près revenues aux normales d’avant la COVID-19. Les prix de référence des logements restent inférieurs de 10 % au sommet atteint au début de 2022, mais ont rebondi d’un peu moins de 7 % par rapport à leurs creux de mars 2023. Nous nous attendons à ce que cette combinaison de données scelle la fin des hausses de taux de la Banque du Canada.
Le prix du baril de pétrole West Texas Intermediate a augmenté de 2,2 % pour s’établir à 83,60 $ US; le huard a fléchi de 2,4 % pour s’établir à 0,740 $ US, soit 1,351 $ CA le dollar US, à cause de la vigueur généralisée du dollar américain. Les taux de rendement des obligations canadiennes ont peu varié; à la fin de la période, ceux des obligations à 2 ans s’élevaient à 4,64 % et ceux des obligations à 10 ans à 3,56 %, ce qui a fait retraiter l’indice des obligations universelles FTSE Canada de 0,2 %.
États-Unis – Toujours solide
Les actions américaines ont reculé, mais de façon modeste. Les marchés boursiers se sont redressés à la fin du mois après avoir reculé de près de 5 % au milieu du mois grâce à une croissance des bénéfices supérieure aux attentes, à une économie solide et à une première forme de validation du phénomène de l’intelligence artificielle (NVIDIA, un fabricant de puces d’IA a enregistré une croissance des bénéfices étonnante). En août, l’indice S&P 500 et l’indice NASDAQ ont baissé de 1,8 % et de 2,2 %, respectivement; l’indice Russell 2000 des petites capitalisations a fléchi de 5,2 %, cédant la majeure partie des gains inscrits en juillet.
Même si l’économie américaine demeure résiliente, grâce à la vigueur exceptionnelle des consommateurs, certains secteurs éprouvent des difficultés. L’activité manufacturière s’est contractée pour un neuvième mois d’affilée, sans toutefois que la situation s’aggrave. Le secteur des services continue de croître, mais à un rythme plus lent. Même le marché du travail commence à s’assouplir, car de plus en plus de gens intègrent le marché du travail, tandis que la croissance des salaires est moins forte. C’est exactement le genre de faiblesse que les hausses de taux de la Réserve fédérale américaine (la Fed) sont censées engendrer. L’inflation globale annuelle mesurée par l’IPC a augmenté (légèrement) pour passer de 3,0 % à 3,2 %, mais l’inflation de base annuelle a quelque peu baissé pour s’établir à 4,7 %. Les données envoient toujours des signaux contradictoires, de sorte que l’on ignore ce que la Fed fera. Les investisseurs s’attendent à une autre hausse de taux cette année, mais pas à la réunion de septembre. Nous pensons que la Fed a terminé son cycle. Les taux des obligations d’État américaines à 2 ans ont baissé, passant de 4,88 % à 4,86 %, alors que ceux des obligations à 10 ans ont augmenté, passant de 3,96 % à 4,11 %.
Europe – Toujours au même point
La croissance du PIB européen rebondit légèrement, mais ce n’est probablement pas le début d’une reprise soutenue. Selon les mesures prospectives, l’activité commerciale reste en territoire de contraction. La croissance de l’emploi ralentit, mais continue de refléter la solidité du marché de l’emploi.
L’Allemagne, le moteur économique de la région, demeure atone; l’économie a fait du surplace au deuxième trimestre, après deux trimestres de repli. La consommation des ménages allemands a également fait du surplace et les exportations ont enregistré une baisse pour une deuxième fois au cours des trois derniers trimestres. L’inflation globale en Europe est demeurée stable à 5,3 % en août, tandis que l’inflation de base a fléchi de 0,2 %, pour s’établir à 5,3 % comme prévu. La Banque centrale européenne est prise entre une inflation élevée et une économie anémique; nous croyons qu’elle suspendra ses hausses de taux lors de sa réunion du 14 septembre. Les indices boursiers Euro STOXX 50 en Europe, DAX en Allemagne et FTSE 100 au Royaume-Uni ont reculé de 3,9 %, de 3,0 % et de 3,4 %, respectivement.
Asie – Toujours faible
De nouveaux signes de faiblesse de la croissance économique en Chine ont pesé sur les marchés boursiers mondiaux. Comme on pouvait s’y attendre, les marchés chinois ont été les plus durement touchés : l’indice MSCI Chine a plongé de 8,5 % en août. Les données indiquent que la croissance demeure anémique, surtout en raison de l’affaiblissement du secteur immobilier et de la baisse de confiance qui en résulte. Des signes de stabilisation sont toutefois visibles. Notamment, les autorités accroissent rapidement et vigoureusement leurs mesures de relance budgétaires et monétaires. Malgré les pointes que les États-Unis et la Chine continuent de se lancer quant aux échanges commerciaux, la visite du secrétaire d’État américain s’est conclue sur une note encourageante. Maintenant que le niveau d’anxiété semble exagéré (les trois numéros d’août de The Economist contenaient des reportages négatifs sur la Chine), la question est de savoir dans quelle mesure les mauvaises nouvelles se reflètent dans les prix des actifs. Le pessimisme à l’égard des actifs chinois a tellement pesé sur les cours que nous les surveillons de près – en gardant à l’esprit le sage conseil de Warren Buffet d’être avide quand les autres sont craintifs. Bien qu’il soit tentant d’augmenter nos placements dans des actifs chinois, compte tenu de la situation géopolitique imprévisible, nous nous contentons de surveiller nos positions.
Les actions japonaises n’ont pas échappé à la faiblesse mondiale; l’indice Nikkei 225 a reculé de 1,7 %. L’inflation semble ralentir un peu, même si la décision de laisser les taux obligataires à 10 ans augmenter se répercute sur les marchés obligataires mondiaux.
Notre stratégie – L’équilibre, avec une préférence pour les actions
Nos portefeuilles demeurent bien équilibrés. Le rendement des catégories d’actif a été volatil en août, mais a clôturé le mois à peu près au même niveau qu’il l’avait commencé; par conséquent, notre répartition de l’actif demeure dans des cibles acceptables à moyen terme. Dans certains portefeuilles, nous prévoyons d’accroître la surpondération des actions par rapport à nos cibles.
Dans l’ensemble, dans nos portefeuilles représentatifs les plus généraux, nous surpondérons les actions canadiennes et américaines et nous accordons une pondération neutre aux marchés développés internationaux (Europe et Japon) et aux marchés émergents.
Le taux de rendement courant généré par nos positions obligataires bien diversifiées augmente à mesure que les taux de rendement s’améliorent. Le flux de revenu est suffisant dans les portefeuilles de sorte que les hausses des taux obligataires ont pour effet de réduire et non d’éliminer les rendements totaux des titres à revenu fixe. Plus les taux de rendement sont élevés, plus ils offrent une protection en cas de ralentissement de l’économie.
Le mot de la fin – Les taux réels positifs sont normaux et bienvenus
Il faut accueillir favorablement les taux réels légèrement positifs, et non les craindre. On peut tout simplement considérer les taux obligataires à long terme comme étant la somme de l’inflation et de la croissance économique réelle. Par exemple, si l’inflation atteint 2 % et le PIB réel 2 %, les taux de rendement des obligations à long terme devraient naturellement s’établir à 4 %. Les taux des obligations à long terme atteignent actuellement 4 % aux États-Unis (environ 3,5 % au Canada). Il s’agit d’un rééquilibrage par rapport aux taux observés au cours de la dernière décennie, lorsque la faible inflation et la piètre croissance économique se sont combinées pour générer des taux obligataires à long terme qui étaient en moyenne sous les 2,5 % aux États-Unis et les 2 % au Canada.
Les taux obligataires sont le prix de l’argent, qui ne devrait pas être gratuit. L’humanité gaspille les ressources lorsqu’elles sont bon marché, et l’argent ne fait pas exception. Lorsque les taux réels sont plus élevés, les épargnants sont récompensés. Ils freinent également les dépenses publiques exagérées en plus d’obliger les ménages et les entreprises à faire preuve de rigueur dans leurs décisions d’investissement et de dépenses. À la fin du mois d’août, les taux réels avaient reculé pour s’établir à 1,85 %. Pour le moment, il semble que la barre des 2 % était trop élevée. Comme T.S. Eliot l’a déclaré : « L’humanité a du mal à composer avec la réalité. »
La période difficile d’ajustement aux taux de rendement réels plus élevés finira par passer. Nous voyons des signes encourageants. L’inflation continue de baisser et la productivité augmente (aux États-Unis maintenant, et probablement ensuite dans d’autres économies). Cette hausse des taux de rendement réels jette les bases d’une économie et d’un contexte de placement plus sains.
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