« En ce jour de 1929, William Peter Hamilton, rédacteur en chef du Wall Street Journal et l’un des principaux défenseurs de la « théorie de Dow » sur l’analyse technique, a prédit avec justesse la fin prochaine du marché haussier. Mais comme Hamilton avait déjà prédit la mort du marché haussier en janvier 1927, en juin 1928 et en juillet 1928, personne ne l’a écouté. »
– Wall Street Journal, Today in Markets History, 21 octobre 2025
Les marchés financiers ont continué de progresser malgré le brouillard entourant la plupart des données économiques officielles des États-Unis que l’on doit à la paralysie du gouvernement. Le mois d’octobre a été marqué par de légères craintes sur les marchés américains du crédit privé, par un renversement de tendance abrupt pour l’or et par les réunions sur la politique monétaire des banques centrales du Canada, des États-Unis et de l’Europe perçues comme plus restrictives. Les progrès réalisés dans les relations commerciales entre les États-Unis et la Chine (qui peuvent encore reculer) et, surtout, les excellents rapports sur les bénéfices des sociétés ont contrebalancé ces éléments négatifs.
Les marchés financiers sont avides d’information. Les cours des actions fluctuent échelon par échelon, au rythme des changements de perspectives fondamentales pour la croissance de l’économie et des bénéfices des sociétés, les taux d’intérêt et l’inflation, entre autres variables. L’information ne se compose pas seulement de données, et les données ne proviennent pas toutes du gouvernement des États-Unis. Fait important, lorsque le gouvernement américain a présenté son point de vue sur l’inflation, l’IPC de base était un peu plus faible que prévu, mais restait tout de même élevé à 3 %. Les investisseurs ont accès à d’autres données qui fournissent des renseignements utiles. Par exemple, le secteur privé publie des rapports sur l’emploi et le logement. L’activité économique peut être mesurée par l’utilisation des cartes de crédit, les dépôts de bilan et les enquêtes auprès des consommateurs et des entreprises. Par un heureux hasard, cette absence de données officielles coïncide avec le début de la période de publication des résultats trimestriels des sociétés. Même lorsque les données gouvernementales abondent, les résultats et les commentaires des sociétés phares apportent un éclairage précieux sur l’économie.
Les banques constituent un baromètre économique particulièrement intéressant. Malgré certaines préoccupations concernant la faiblesse des sociétés de prêts automobiles à haut risque (« Quand on voit un cafard, il y en a probablement d’autres, a déclaré le chef de la direction de JP Morgan, Jamie Dimon), les banques américaines ont publié de solides résultats et tenu des propos encourageants sur la santé des consommateurs, les conditions financières globalement favorables, affirmant qu’elles étaient peu susceptibles d’être touchées par quelques événements de crédit isolés.
Tous les grands indices boursiers que nous suivons, à l’exception de deux, ont inscrit des gains pour le mois. L’indice S&P/TSX a progressé de 0,8 %, témoignant de la vigueur des secteurs de la technologie, des services financiers et des services publics, tempérée par le recul des sociétés aurifères. L’indice S&P 500 a progressé de 2,3 %. L’indice MSCI Marchés émergents a bondi de 4,1 %, sans l’aide des actions chinoises, malgré le dégel des relations commerciales entre les États-Unis et la Chine (une amélioration des relations commerciales pourrait ralentir la relance économique nationale nécessaire). L’indice MSCI EAEO (Europe, Asie, Extrême-Orient) a progressé de 1,1 %. Il a été aidé par l’envolée de 16,7 % de l’indice boursier japonais Nikkei 225, même si la faiblesse du yen a fait perdre un quart ce gain aux investisseurs étrangers. Cependant, les nouveaux dirigeants du Japon s’alignent désormais sur la philosophie du reste du monde, à savoir dépenser sans compter.
Ennui sur le marché obligataire
Les marchés obligataires ont inscrit des gains pour le mois, l’inflation continuant de répondre aux attentes, voire de les dépasser. La Réserve fédérale et la Banque du Canada ont abaissé leurs taux, tandis que la Banque centrale européenne a maintenu le statu quo. À l’extérieur des États-Unis, où les banques centrales ont procédé à des réductions plus énergiques, la plupart des cycles d’assouplissement touchent à leur fin ou la barre est très haute pour de nouvelles baisses de taux. Les marchés boursiers s’exaspèrent souvent face à cette perspective et ont réagi à court terme. Mais les banques centrales fournissent des justifications acceptables par les investisseurs : les taux d’intérêt ont déjà été considérablement abaissés dans de nombreux nombreux pays, et les effets de ces baisses sont encore à venir; certaines économies se portent mieux que prévu (l’Europe est la dernière en date), et pour le grand-père américain, l’absence de données est un bouc émissaire pratique. Aux États-Unis, le discours reste le même : l’économie se porte bien dans l’ensemble et l’inflation n’est pas un problème, mais elle n’est pas encore suffisamment faible pour justifier des baisses de taux excessives. La forte croissance des bénéfices a permis de relativiser tout cela. Puisque la Fed a moins réduit ses taux que de nombreuses autres banques centrales, les investisseurs peuvent s’attendre à de nouvelles baisses. Nous préférons de loin voir les actions progresser grâce aux bénéfices, et non aux baisses des taux d’intérêt.
Les bénéfices sont essentiels
Nous sommes encouragés par le fait que les bénéfices demeurent le facteur le plus favorable qui sous-tend notre conviction que les actions demeurent attrayantes. Bien entendu, les bénéfices des sociétés spécialisées dans l’IA et liées à l’IA (énergie, données, stockage et informatique) continuent d’attirer beaucoup d’attention. Deux points nous semblent particulièrement favorables en cette période de publication des résultats. D’une part, la croissance des bénéfices s’étend au-delà du secteur de la technologie. D’autre part, dans le segment de l’IA, les investisseurs font preuve de plus en plus de discernement. Ils posent des questions sur les résultats financiers, puis récompensent les sociétés qui fournissent de bonnes réponses et pénalisent celles dont les réponses sont insuffisantes.
L’élargissement du marché
Le taux de croissance des bénéfices mixtes de l’indice S&P 500 pour le troisième trimestre s’établit à 11 %, dépassant les attentes de croissance de 7,9 % à la fin du deuxième trimestre. Le pourcentage de sociétés qui surpassent les attentes consensuelles en matière de bénéfices oscille autour de 80 %, un taux très satisfaisant, nettement supérieur aux moyennes sur un an et cinq ans (idem pour la croissance du chiffre d’affaires). Ce résultat n’est pas que le fruit d’une concentration dans le secteur de la technologie; outre ce dernier, les secteurs des services publics, des matières premières, des services financiers et de l’industrie sont en bonne voie d’afficher une croissance de leurs bénéfices supérieure à 10 % au troisième trimestre.
Pour 2026, les prévisions de croissance des bénéfices de l’indice S&P 500 s’établissent à 13 %. Soulignons que ce chiffre reste stable. Dans le passé, les replis du marché boursier ont souvent été précédés d’un fléchissement des prévisions de croissance des bénéfices. Les prix ont continué d’augmenter (surtout lors des épisodes de bulles), malgré la détérioration des données fondamentales. Ce n’est pas ce qui se passe aujourd’hui.
Le bond des actions japonaises est soutenu par les solides bénéfices des sociétés. Même en Europe, où la croissance des bénéfices a été faible en raison du ralentissement des économies, la proportion de sociétés européennes qui dépassent les estimations de bénéfices (même si celles-ci sont modestes) est la plus élevée depuis le premier trimestre de 2023. Nous n’en sommes qu’au tout début de la période de publication des résultats des sociétés cotées à l’indice S&P/TSX, mais on s’attend à une croissance d’environ 15 %, ce qui marquerait un troisième trimestre consécutif de croissance à deux chiffres.
Plus de discernement
Les dépenses et les investissements dans le segment de l’IA grimpent en flèche (plus de détails à ce sujet à la rubrique Le mot de la fin ci-dessous). Pour les sociétés individuelles, les investisseurs font preuve de plus de discernement au sujet du rendement attendu de ces investissements. Des sociétés comme Google (Alphabet), Apple et Amazon sont récompensées pour leurs dépenses en IA, parce que leurs plateformes existantes sont considérées comme des vecteurs de déploiement de l’IA, ce qui leur donne une meilleure visibilité sur la façon dont leurs placements en IA peuvent porter leurs fruits. Meta n’a pas été en mesure d’offrir le même niveau de confiance et le cours de son action en a souffert. Les négociations commerciales font également l’objet d’une surveillance étroite. Les investisseurs sont vigilants face à la surexposition à des entités uniques et à des placements qui semblent circulaires parmi un petit groupe de sociétés. Par exemple, les liens entre Microsoft et OpenAI sont dans le collimateur des investisseurs. Cette rigueur diffère de l’exubérance excessive qui caractérisait la bulle Internet de 1999. À cette époque, il suffisait que le nom de la société comporte la mention « point com » pour que tout le monde se précipite pour acheter l’action.
Concentration : un problème et une occasion
Comme les plus grandes sociétés continuent d’accaparer une part croissante du capital, la forte concentration de la capitalisation boursière reste au centre des préoccupations. Cette situation fausse toutes les mesures fondées sur une moyenne de l’indice – les valorisations et les marges bénéficiaires sont deux exemples importants. Aux États-Unis, des recherches menées par des stratèges de Fidelity1 ont montré que pour la première fois en plus de trois ans, le taux de croissance des bénéfices médian de 3 000 actions américaines est devenu positif. La croissance moyenne des bénéfices pondérée en fonction de la capitalisation boursière est restée solide pendant plusieurs trimestres. Cependant, le taux de croissance médian des bénéfices vient de sortir de la plus longue période jamais enregistrée où les bénéfices médians se sont contractés tandis que les bénéfices au niveau de l’indice ont augmenté. Sur le plan de la durée, la récente contraction se situe dans le quartile supérieur de l’histoire – un phénomène généralement observé en périodes de pleine récession seulement. En conclusion, l’action médiane ne sort que maintenant d’une période de baisse profonde et prolongée des bénéfices. Historiquement, plus la période de sous-performance est profonde et prolongée, plus le rattrapage est important. Pour ceux qui s’inquiètent du fait que nous ayons observé une reprise généralisée, cela prouve qu’il existe encore des occasions. Autre preuve : l’indice S&P 500 équipondéré a progressé d’un modeste 7,2 % sur 12 mois.
Notre stratégie : équilibrée, avec une préférence pour les actions; approche rigoureuse de la prise de profits
Les rendements impressionnants des derniers mois nous poussent à anticiper une certaine instabilité à court terme. L’avalanche de données qui tombera lorsque le gouvernement américain ne sera plus paralysé pourrait constituer un catalyseur. Selon nous, un répit pour les marchés boursiers serait salutaire et bienvenu, mais il serait contraire à la norme. Ceux qui suivent la saisonnalité attireront l’attention sur le fait que les marchés boursiers ont tendance à terminer l’année sur des résultats positifs, mais la saisonnalité n’est qu’une moyenne. Le marché quasi baissier de Noël 2018 prouve que les actions peuvent reculer en tout temps pour de nombreuses raisons.
L’activité de négociation ont généré des profits réguliers tout au long de l’année, ce qui a permis de rééquilibrer les portefeuilles par rapport aux cibles et d’adopter progressivement une approche plus prudente. Il reste des occasions à saisir sur les marchés boursiers, et nous estimons toujours que les conditions sont propices à une surperformance des actions par rapport aux titres à revenu fixe. Notre répartition de l’actif favorise les actions canadiennes et américaines et sous-pondère les titres à revenu fixe.
Le mot de la fin : Productivité, bulles et dette
Vous pouvez lire nos dernières réflexions sur les bulles dans le Commentaire sur les marchés mondiaux d’août et dans l’édition du 26 septembre des Perspectives – stratégie hebdomadaire : La chasse aux baisses, où nous arrivons à la conclusion que si nous sommes dans une bulle, nous estimons qu’elle est moins contagieuse que les bulles précédentes. Les bulles sont inévitables, et nous soulignons que ce qui importe le plus, c’est la façon dont nous, les investisseurs, les abordons. Cependant, la question « Sommes-nous dans une bulle? » reste celle qu’on nous pose le plus fréquemment, alors voici quelques réflexions supplémentaires.
Les bulles ne sont pas un bogue du capitalisme, elles en sont une caractéristique. Au fil du temps, l’humanité a inventé des choses merveilleuses qui améliorent notre qualité de vie. Les bulles des marchés financiers sont un élément essentiel des risques et des récompenses nécessaires pour stimuler l’innovation. Cependant, il existe une distinction importante entre les bonnes et les mauvaises bulles. Le stratège Louis-Vincent Gave, cofondateur de la société de recherche GaveKal, l’a très bien résumé dans un article publié en décembre 2014 : « … Les bulles peuvent faire grimper la valeur des actifs en raison de leur « rareté » perçue (généralement les terres et les biens immobiliers, mais aussi les tulipes ou l’or...) ou de leur productivité (canaux, chemins de fer, lignes de télécommunications, énergie...). Cette distinction est importante parce que, dans le premier cas, l’économie n’aura pas plus de terres (ou d’or ou de tulipes…) qu’au départ. Dans le second cas, un capital productif a été mis en place et peut encore être exploité soit par ses propriétaires actuels soit par un nouveau groupe de propriétaires. »2
Sommes-nous dans une bulle productive ou spéculative? En ce qui concerne le prix de l’or, nous penchons pour une bulle spéculative. Nous sommes d’accord avec M. Gave lorsqu’il affirme qu’une bulle n’augmentera pas les réserves mondiales d’or et que la valeur productive de l’or est limitée (pour être tout à fait transparents, nous préférons être plus exposés au thème de l’intelligence artificielle qu’à l’or, même si nos portefeuilles bien diversifiés contiennent les deux).
En ce qui concerne l’IA, nous penchons pour une bulle productive, reste à voir dans quelle mesure. Il est important de noter qu’une part importante des dépenses est consacrée au segment lié à l’IA : construire l’infrastructure nécessaire à la démocratisation de l’IA. Que la société utilise ou non une nouvelle énergie, des données et la puissance informatique pour l’IA, ces actifs productifs peuvent être déployés dans de nombreuses applications futures.
Le mode de financement d’une bulle a également son importance. Financer une bulle spéculative avec de la dette revient à subir un double coup dur : aucun résultat productif à montrer et un système de crédit fragilisé. Si vous financez une bulle productive avec des capitaux propres (ce qui est principalement le cas aujourd’hui, même si le recours au crédit gagne du terrain), le risque est assumé par ceux qui doivent s’y attendre (les investisseurs en actions). Un excès de capitaux propres ne met pas autant en péril l’ensemble du système de crédit que le recours à la dette.
Une bulle spéculative crée des gagnants – peut-être trop. Quand elle éclate, il y a des perdants, en particulier ceux qui arrivent trop tard ou qui sont surexposés. Nous ne pouvons pas savoir ce qui sortira du contexte actuel – productivité, bulle, boom ou krach. Bien entendu, nous avons notre opinion et nous sommes positionnés en conséquence, mais sans excès. Peter Hamilton, le rédacteur en chef du Wall Street Journal, est décédé des suites d’une maladie quelques semaines après sa dernière prédiction (qui s’est finalement avérée exacte) de krach boursier. Ceci nous rappelle qu’en tant qu’investisseurs, nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons contrôler : notre tolérance au risque et nos émotions (en particulier celles qui sont fondées sur la peur et l’avidité). Nous devons également respecter notre horizon de placement, qui, pour les particuliers, est limité, tout comme l’était celui de M. Hamilton.
Veuillez communiquer avec votre conseiller en placement si vous avez des questions ou si vous souhaitez discuter de vos placements.
- https://advisoranalyst.com/2025/10/16/median-earnings-growth-finally-turns-up.html/
- https://obj.portfolioconstructionforum.edu.au/articles_perspectives/PortfolioConstruction-Forum_A-better-class-of-bubble.pdf