« Il existe deux façons de répandre la lumière : être la bougie ou le miroir qui la reflète. »
– Vesalius in Zante (1902), Edith Wharton, romancière et poétesse américaine, première femme à recevoir le prix Pulitzer de fiction
Au vu des rendements impressionnants enregistrés par les marchés financiers au troisième trimestre, vendre en mai aurait été un mauvais conseil (ce n’est jamais un bon conseil). En effet, les marchés estivaux n’ont certainement pas été enlisés dans le marasme.
Il est utile de se rappeler certains adages : les marchés boursiers escaladent un « mur d’inquiétude », ils anticipent l’évolution future des bénéfices qui, à leur tour, anticipent l’évolution de l’économie.
Au troisième trimestre, les marchés boursiers ont manifestement escaladé un « mur d’inquiétude » et les nouvelles négatives ont défrayé la manchette. Pourtant, la croissance des bénéfices (le moteur fondamental le plus puissant et le plus sain de la progression des marchés boursiers) a propulsé les actions à la hausse. Ces surprises en matière de bénéfices ont été à la fois de portée mondiale et substantielles. Elles ont défié le sentiment généralisé de découragement résultant du chaos associé au caractère changeant et parfois confus des politiques économiques (qu’il soit ici question de droits de douane, de politique industrielle, de contestations judiciaires, de changements en matière d’immigration ou de remaniements au sein de la Réserve fédérale).
La maxime selon laquelle les marchés boursiers anticipent l’évolution future des bénéfices qui, à leur tour, anticipent l’évolution de l’économie, s’est également avérée vraie. Les surprises liées aux bénéfices des entreprises ont laissé présager une hausse des prévisions de croissance économique future. Même l’OCDE, qui est toujours l’une des dernières organisations à réviser ses prévisions, a relevé ses prévisions mondiales. Ces prévisions de croissance revues à la hausse, associées à la résilience de la consommation, à l’expansion des investissements des entreprises (dépenses en capital), à la croissance de l’intelligence artificielle, aux centres de données et à l’essor des infrastructures, alimentent un cercle vertueux pour l’économie et les marchés financiers qui s’étendra jusqu’en 2026, et peut-être au-delà.
Autre chose?
Outre la poursuite de l’expansion du cercle vertueux de la croissance économique et des bénéfices mondiaux, il ne faut pas perdre de vue le fait que depuis plusieurs années, les fusions-acquisitions et les premiers appels publics à l’épargne ont été peu nombreux. Il s’agit là d’avenues positives qui suscitent généralement l’enthousiasme des investisseurs en actions. À cela s’ajoutent le faible coût de l’énergie, les dépenses budgétaires à travers le monde et les réductions d’impôts aux États-Unis qui devraient entrer en vigueur mi-2026. Mais il y a plus encore : la Réserve fédérale et la Banque du Canada devraient poursuivre leurs baisses de taux (le reste du monde est davantage tributaire des données). Les baisses de taux des banques centrales qui coïncident avec des prévisions de croissance des bénéfices à la hausse, ont toujours été très favorables aux actions. La conjugaison de tous ces éléments laisse entrevoir un contexte très propice à la prospérité des marchés boursiers.
Le marché en forme de K
Le marché boursier actuel est décrit comme étant en forme de K : certaines entreprises en profitent, d’autres non (à l’image de la lettre K). Les entreprises de technologie IA à très forte capitalisation et les secteurs liés à l’IA (centres de données, infrastructures, logiciels et semi-conducteurs) ont tous connu une croissance fulgurante. Certains s’inquiètent du fait que leurs cours boursiers et/ou leurs dépenses sont exagérés.
Les entreprises quelque peu à la traîne forment la pente descendante du marché en forme de K. Le côté positif, en l’espèce, tient à des valorisations plus attrayantes dans d’autres secteurs, tailles d’entreprises et régions géographiques. Certains des premiers gagnants de cette rotation boursière ont déjà été couronnés : les actions canadiennes, japonaises et européennes ont déjà pris la tête du peloton. Si les écarts de valorisation se sont réduits, des occasions subsistent. Les actions des petites et moyennes entreprises viennent à peine de commencer à surperformer.
Parlons de « bulles »
Nous avons abordé la question des bulles à plusieurs reprises (voir notamment notre édition d’août de Commentaire sur les marchés mondiaux et l’édition du 26 septembre de Perspectives – stratégie hebdomadaire La chasse aux baisses) et avons conclu que si nous sommes dans une bulle, celle-ci est moins contagieuse que ne le furent les bulles récentes. Fait plus significatif encore, nous reconnaissons que les bulles sont inévitables; ce qui importe, c’est la manière dont nous, investisseurs, y faisons face.
Il importe de noter que lors des bulles précédentes, axées sur l’innovation, les actions des entreprises concernées ont généralement continué à progresser même alors que le reste du marché se détériorait. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Certes, les entreprises à très forte capitalisation et celles spécialisées dans l’intelligence artificielle se portent bien sur les marchés, mais elles sont désormais rejointes par un plus vaste éventail d’entreprises, ce qui est en soi positif. Lors des bulles précédentes, le leadership du marché se limitait à quelques entreprises axées sur l’innovation, qui déterminaient le rendement du marché.
Comment résoudre un problème comme celui des valorisations?
Compte tenu du contexte positif et de l’ampleur des gains enregistrés sur les marchés boursiers, il est tout naturel de s’inquiéter des valorisations et des risques de dérapage (le prochain « mur d’inquiétude »). Les multiples de valorisation moyens (ratios cours/bénéfice) sont actuellement élevés par rapport à leurs moyennes historiques. L’évaluation des occasions de placement sur la seule base des ratios cours/bénéfice (ou même de mesures de valorisation plus larges) n’a jamais été un outil utile pour choisir le moment opportun. Lorsque le contexte est favorable et que le sentiment est positif (comme c’est le cas aujourd’hui), il faut s’attendre à des multiples élevés. Lorsque la spéculation s’installe, les multiples de valorisation augmentent. Mais les ratios de bénéfices prévisionnels du S&P 500, soit le marché le plus onéreux et le plus axé sur l’IA, sont à peu près au même niveau que ces cinq dernières années. Il faut notamment remarquer que pour les « sept magnifiques », la croissance substantielle des bénéfices a entraîné une baisse des ratios cours/bénéfices.
Nous devons veiller à ne pas brosser un tableau trop général ni à adopter une approche trop dogmatique. Il importe d’éviter d’adopter une mentalité du type « Je ne veux pas investir en bourse, car c’est trop cher ». Le prix payé pour acquérir un actif a une incidence sur le taux de rendement. Mais pour les actifs de haute qualité (p. ex., les actions), plus vous conservez un actif longtemps, moins le prix d’achat initial a d’impact sur votre bien-être financier. Cela est particulièrement vrai pour les actifs qui génèrent des revenus comme les dividendes, les intérêts et les loyers.
En l’état actuel de la situation, les préoccupations générales en matière de valorisation ne nous inquiètent pas. À l’évidence, nous voulons toujours acheter nos actifs préférés à des prix plus bas. Nous percevons un contexte constructif pour le marché des actions. Par conséquent, si un recul devait survenir, nous serions favorables à une vente et deviendrions acheteurs. Notre analyse technique nous porte à croire que certains secteurs des marchés boursiers devraient connaître un certain recul. Cependant, au vu des liquidités importantes qui demeurent disponibles, nous ne pensons pas qu’une vente massive serait particulièrement importante ou durable.
Comment résoudre un problème comme celui de la Fed?
La Réserve fédérale américaine est au cœur de nombreuses conversations. De combien les taux seront-ils réduits? Quand le seront-ils? Pourquoi faudrait-il les réduire? Où la réduction devrait-elle s’arrêter (taux final ou taux neutre)? Et, bien sûr, la Fed peut-elle conserver son indépendance?
Nous avons souligné le marché boursier en forme de K; parallèlement, l’économie est également en forme de K. Si les cohortes à revenus élevés bénéficient de l’effet de richesse (les marchés boursiers sont en hausse), les ménages à faibles revenus sont touchés de manière disproportionnée par la faiblesse de la création d’emplois et le ralentissement de la croissance des salaires. Une économie en forme de K ne pose pas de problème majeur pour une grande partie du marché boursier. Les ménages faisant partie de la tranche de revenus supérieure (20 %) génèrent environ 60 % de la consommation totale. À moins d’un ralentissement brutal de la croissance économique globale et d’une hausse significative du chômage, le marché boursier ne s’inquiétera pas des cohortes à faibles revenus. En effet, ces groupes sont en quelque sorte le problème de la Réserve fédérale, problème qu’elle résoudra en baissant les taux d’intérêt, ce qui sera une bonne nouvelle tant pour eux que pour les actions.
Comme ce fut le cas en plusieurs circonstances cette année, s’agissant de l’indépendance de la Fed, la patience et l’attente se sont avérés bénéfiques. Les investisseurs qui s’inquiétaient vivement de l’indépendance de la Fed ont appris que les changements au niveau institutionnel se concrétisent très lentement. Les nouveaux visages de la Fed ont été intégrés sans incident majeur, et de nombreux membres de l’institution réaffirment publiquement la nécessité et les avantages de l’indépendance. La structure de la Fed a été conçue pour contrer les pressions et les ingérences extérieures (nomination de plusieurs présidents au niveau local, rotation des gouverneurs, rotation des droits de vote, pour ne citer que quelques remparts). L’histoire montre que de nombreuses administrations ont tenté de faire pression sur la Fed; la situation qui prévaut actuellement semble exagérément médiatisée en raison des réseaux sociaux.
Le nirvana des marchés boursiers
Les investisseurs ont de nombreuses raisons d’aimer la conjoncture actuelle, alors que l’économie affiche des performances raisonnablement bonnes, mais l’emploi demeure suffisamment faible pour tempérer l’inflation salariale et inciter les banques centrales à assouplir leur politique monétaire. Les baisses de taux des banques centrales qui coïncident avec des prévisions de croissance des bénéfices en hausse, ont toujours été favorables aux actions.
Notre stratégie – Équilibrée, avec une préférence pour les actions; prise de bénéfices disciplinée
Au cours des neuf premiers mois de 2025, les marchés boursiers ont affiché des rendements impressionnants et généralisés. L’indice MSCI Marchés émergents a progressé de 25 %, l’indice MSCI EAEO (Europe, Asie, Extrême-Orient) de 22 %, l’indice composé S&P/TSX de 21 % et l’indice S&P 500 de 14 %. Le marché obligataire s’est également replacé, avec un rendement de 1,5 % au troisième trimestre, ce qui correspond à un risque approprié, portant le rendement depuis le début de l’année à 3 %, conformément à nos attentes.
Notre approche disciplinée et bien diversifiée, prévoyant une exposition à différentes régions géographiques, tailles d’entreprises et à différents secteurs (ainsi que, dans de nombreux cas, une exposition à des titres à revenu fixe pour assurer la stabilité), offre d’excellents résultats en 2025. La clé de cette approche consiste à engranger régulièrement des bénéfices et à réinvestir ces gains dans des domaines qui ont pris du retard. Nous ne cherchons pas à deviner si nous vendons à un prix élevé et achetons à bas prix; nous faisons preuve de discipline pour que cela se déroule de manière systématique. Bien que nous ayons tendance à laisser une marge de manœuvre considérable à nos champions, notre enthousiasme a ses limites. Nous continuons à engranger de manière sélective les gains d’une large gamme de nos champions.
Nous estimons que les conditions sont propices à une surperformance des actions par rapport aux titres à revenu fixe. Cela dit, comme la reprise du marché boursier a été vigoureuse, un excès d’exubérance constitue un risque. Dans certains cas, les valorisations sont un frein. Le risque d’inflation demeure. Il en va de même pour la perspective d’une déception en ce qui concerne la croissance économique, la croissance des bénéfices, les marges et les effets des droits de douane. Face à la flambée des actions, nos perspectives sont optimistes mais néanmoins réalistes. Nous restons légèrement surpondérés en actions canadiennes et américaines et sous-pondérés en titres à revenu fixe.
Le mot de la fin – Pourquoi nous croyons aux actions
Nous entendons souvent les mêmes préoccupations : en quoi les droits de douane, l’inflation et les déficits importants du gouvernement américain auront-ils une incidence sur mes placements? Nous sommes d’avis que les actions offrent une protection intéressante contre l’incidence négative de tous ces facteurs.
Droits de douane : le président de la Fed, Jerome Powell, assimile les droits de douane à un changement ponctuel mais échelonné des prix. Il s’agit d’un scénario dans lequel les entreprises s’adaptent progressivement aux droits de douane, mais finissent par maximiser leurs profits et répercuter au moins une partie des droits de douane sur les consommateurs. Si le caractère « ponctuel mais échelonné » atténue l’incidence et la répartit dans le temps, les droits de douane deviendront tout simplement, à terme, la taxe à la consommation qu’ils ont toujours été.
Inflation : l’inflation peut demeurer élevée à condition qu’elle ne soit pas trop élevée (c.-à-d. supérieure à 3 % pendant plus d’un mois ou deux). Malgré l’objectif d’inflation de 2 % fixé par la Fed, depuis les années 1990, l’inflation est demeurée chroniquement inférieure ou supérieure à cet objectif pendant de longues périodes, le dépassement le plus courant étant d’environ 2,6 %. À l’évidence, l’économie américaine peut fonctionner harmonieusement avec une inflation supérieure à 2 %; ce fait compte car cette situation devrait perdurer pendant un certain temps. Les actions constituent une bonne couverture contre l’inflation. Les entreprises font partie du mécanisme de l’inflation. Si les entreprises n’augmentent pas leurs prix, il n’y a pas d’inflation. Les bénéfices sont une mesure nominale, déterminée par l’activité économique nominale, c’est-à-dire la croissance économique réelle, à laquelle s’ajoute l’inflation. Nous préférons la croissance des bénéfices basée sur la croissance économique réelle, la productivité, l’innovation et l’esprit d’entreprise. Cependant, les cours des actions des entreprises bien gérées ont tendance à augmenter à mesure que les bénéfices augmentent, même si cela est en partie dû à l’inflation.
Finances publiques : l’idée que les droits de douane sont là pour rester et peuvent être absorbés est tellement ancrée que les marchés financiers pourraient considérer un revirement de la politique tarifaire (par les tribunaux, par exemple) comme un élément négatif. Au départ, le marché obligataire pensait que les droits de douane étaient inflationnistes et ne les appréciait pas. Compte tenu du niveau élevé des dépenses publiques américaines, les recettes douanières contribuent à réduire le déficit du pays et sont désormais considérées comme un élément positif. Par conséquent, l’abrogation des droits de douane pourrait nuire au marché obligataire. Elle pourrait être favorable aux actions lorsque les entreprises bénéficient de remboursements de droits de douane. Elle pourrait être défavorable si le marché obligataire se révolte et fait grimper les rendements. Les investisseurs en actions et en obligations ne s’en soucieraient probablement pas, sachant qu’il existe d’autres moyens de prélever des droits de douane.
Les actions ne sont pas seulement un outil qui permet de se prémunir contre ces risques; elles intègrent tous les avantages de l’innovation, de l’esprit d’entreprise et du capitalisme. En fin de compte, pour les investisseurs en actions, les bénéfices sont vitaux. La croissance des bénéfices stimule les cours des actions, mais aussi les rachats d’actions et les dividendes. Les bénéfices ne sont pas seulement avantageux pour les investisseurs; ils sont également un bon indicateur de la santé de l’économie. Même si l’économie montre des signes de tension, nous ne sommes pas en récession : nous ne voyons aucun signe de ralentissement de la croissance des bénéfices. En fait, c’est plutôt le contraire. À l’instar de la bougie dans Vesalius in Zante d’Edith Wharton, les bénéfices anticipent l’évolution future, répandant la lumière et laissant présager les développements positifs à venir.
Veuillez communiquer avec votre conseiller en placement si vous avez des questions ou si vous souhaitez discuter de vos placements.