« L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire. »
Milton Friedman, 1963
On s’interroge toujours quant à la direction que prendront les actions et les obligations : le ralentissement de l’économie se transformera-t-il en récession? La contraction de 1,5 % de l’économie américaine au premier trimestre de 2022 a été une mauvaise surprise. L’inflation continue d’accaparer l’attention des marchés financiers, mais reste également au centre des préoccupations des ménages, des entreprises, des politiciens et des médias.
L’inflation élevée complique la question de savoir si la croissance l’emportera sur le ralentissement, et vice versa. Les investisseurs sur les marchés boursiers veulent de la croissance, mais pas au prix de l’inflation. En revanche, après quatre mois difficiles pour les investisseurs en obligations, les titres à revenu fixe sont mieux placés pour protéger les détenteurs de portefeuilles équilibrés si les banques centrales remontent trop fortement et trop rapidement les taux. Les gouverneurs des banques centrales doivent agir avec prudence pour augmenter les taux sans déclencher de récession. Une récession n’est pas notre scénario de référence, mais il est plus probable que cela se produise. La seule crainte d’une récession alimentera la volatilité des actions et des obligations.
En mai, les données contrastées ont aussi bien soutenu le scénario de croissance que celui d’un ralentissement. Les marchés (actions et obligations) ont en majorité fait du surplace au cours de la période, mais cela n’a pas empêché les cours des actions de toucher de nouveaux creux et les taux de rendement des obligations nord-américaines d’atteindre de nouveaux sommets au début du mois. La stagnation n’est certainement pas une raison de se réjouir. Les marchés financiers demeurent sous tension. Cependant, les cours des actions et des obligations ont cessé de baisser de façon simultanée, ce qui permet d’espérer une stabilisation des marchés. De fait, les investisseurs font une pause pour évaluer jusqu’à quel point les cours des actions et des obligations se sont ajustés aux mauvaises surprises de 2022. Ce qui se produit est sain et normal; il faut mettre fin à l’hémorragie avant de songer à la guérison.
Qu’est-ce qui a changé? L’inflation selon l’indice des prix à la consommation (IPC) aux États-Unis a ralenti pour la première fois en sept mois, s’établissant à 8,3 % en glissement annuel en avril, comparativement à 8,5 % en mars. Un mois ne dessine pas une tendance, mais il s’agit d’un signe encourageant qu’un atterrissage en douceur de l’économie américaine demeure possible.
Un atterrissage en douceur exige un resserrement de la politique monétaire afin de réduire la demande, sans toutefois l’étouffer. Pour les marchés de l’habitation en pleine surchauffe, il s’agit d’augmenter suffisamment les coûts d’emprunt pour faire baisser la température en évitant de tout mettre sur la glace. Pour les marchés de l’emploi, où le nombre d’emplois disponibles atteint des sommets record, la croissance plus lente entraînera une diminution du nombre de postes affichés, ce qui refroidira les salaires, mais sans pour autant réduire le nombre de postes existants. Le premier scénario fait beaucoup moins mal que l’autre. Le retrait d’une offre d’emploi constitue une perte d’activité économique, ce qui est nettement préférable à une perte d’emploi.
Les banques centrales sont déterminées à juguler l’inflation au prix de mesures sévères. L’inflation se manifeste dans trois secteurs : les biens, le logement et les services. L’inflation se calme dans les deux premiers cas, alors qu’elle se fait particulièrement sentir au chapitre des salaires dans le troisième secteur (les services) et cette situation pourrait s’aggraver.
Les réouvertures post-COVID-19, l’épargne excédentaire, la croissance de l’emploi et les hausses salariales attisent les flambées d’inflation. C’est ce qu’on appelle une inflation favorable, car tous ces facteurs sont généralement positifs pour l’économie. L’inflation immobilière est bonne si vous êtes propriétaire de votre maison, mais mauvaise si vous ne l’êtes pas.
La soi-disant mauvaise inflation découle des goulots d’étranglement sur les chaînes d’approvisionnement et des pénuries de produits de base. De nombreux facteurs alimentent la mauvaise inflation : les conditions météorologiques extrêmes, la guerre en Ukraine, le contexte géopolitique et la démondialisation (les économies mondiales sont de moins en moins intégrées les unes avec les autres). Du côté des facteurs encourageants, les goulots d’étranglement montrent des signes de déblocage. Par exemple, les grands détaillants (Walmart, Target et d’autres) annoncent que leurs stocks commencent à s’accumuler. Les produits de base demeurent un élément imprévisible. L’approvisionnement en énergie et en aliments est grandement perturbé à cause de la guerre. Ces difficultés pèseront également sur la croissance.
Heureusement, l’économie mondiale affichait une belle tenue à l’approche de 2022. Ainsi, la croissance pourrait ralentir sans pour autant glisser carrément en territoire négatif. Les indicateurs généraux de la santé économique sont en baisse, mais demeurent encourageants. Même en Europe, la résilience des consommateurs et des entreprises a été une agréable surprise.
Canada – La balance penche plus du côté de la croissance que d’un ralentissement
L’économie canadienne continue de croître à un rythme soutenu, ce qui est de plus en plus rare à l’échelle mondiale. La croissance du PIB réel s’est établie à 0,7 % en mars, pour atteindre 3,1 % en rythme annualisé au premier trimestre. Parmi les 35 secteurs suivis par Statistique Canada, 27 ont affiché des gains, ce qui témoigne de la résilience du Canada.
Les taux de rendement des obligations canadiennes ont grimpé : celui des obligations à 2 ans est passé de 2,60 % à 2,67 % et celui des obligations à 10 ans est passé de 2,85 % à 2,90 %. Le 1er juin, la Banque du Canada (BdC) a relevé son taux directeur de 50 points de base pour le porter à 1,5 %. Comme l’inflation mesurée par l’IPC a atteint un nouveau sommet de 6,8 % en avril, ce qui est nettement supérieur aux prévisions de la banque centrale, on s’attend à d’autres hausses de taux. Cependant, le rythme de la hausse des taux obligataires ralentit. Les perspectives du marché obligataire et de la BdC se sont beaucoup rapprochées. Notre banque centrale estime que son taux directeur devrait se situer entre 2 % et 3 %, tandis que les taux obligataires avoisinent déjà les 3 %.
L’indice composé S&P/TSX s’est redressé en mai, mais a clôturé le mois en légère baisse. L’énergie a mené le bal et a progressé de 8 %, en hausse de 41 % par rapport à l’an dernier. L’UE a accepté un embargo partiel sur les importations de pétrole russe, mais pas une interdiction complète. La volatilité des prix du pétrole a persisté. Le prix du baril de West Texas Intermediate a évolué de 99,76 $ US à 114,67 $ US le baril, clôturant le mois de mai à un sommet. Les excellents résultats trimestriels et les hausses de dividendes des banques ont stimulé le rendement de l’indice.
États-Unis – Une trajectoire difficile à prédire
L’économie américaine s’est contractée de 1,5 % au premier trimestre de 2022. La plupart des analystes s’attendent à ce que les États-Unis échappent à une récession, du moins cette année, en grande partie parce que la contraction est principalement attribuable aux ajustements au chapitre du commerce et des stocks. Sans ce déséquilibre commercial, le PIB aurait augmenté de 3,2 % au premier trimestre.
La consommation des ménages, sur laquelle repose plus des deux tiers de l’économie américaine, a affiché une belle progression de 0,9 % en avril. En revanche, le taux d’épargne a chuté à 4,4 %, son plus bas niveau depuis septembre 2008. Les consommateurs sont forcés de puiser dans leur épargne à mesure que les coûts augmentent. Dans l’ensemble, l’épargne accumulée représenterait environ 9 % du PIB; ce qui leur donne encore une bonne marge de manœuvre.
Les taux obligataires des bons du Trésor à 2 ans ont chuté à 2,48 %, un recul de près de 30 points de base par rapport à leur sommet de 2,78 % atteint plus tôt cette année. On s’entend actuellement pour dire que l’inflation a atteint un sommet.
L’indice S&P 500 s’est redressé à la fin du mois, offrant un rendement à peu près nul de 0,2 %. L’indice demeure en territoire de correction et est en berne de 12,8 % cette année. Les bénéfices (les profits des sociétés) et les valorisations (combien les investisseurs sont prêts à payer pour ces bénéfices) font grimper conjointement les cours boursiers. Soulignons que la récente baisse des cours boursiers est imputable aux valorisations; les prévisions de bénéfices n’ont pas encore baissé.
Europe – Un ralentissement moins prononcé que prévu
La guerre de la Russie contre l’Ukraine a des répercussions négatives sur l’économie de la zone euro. L’inflation a atteint un nouveau record de 8,1 % en mai, alimentée par la hausse des coûts des aliments et de l’énergie. Compte tenu de la fragilité de l’économie, la Banque centrale européenne (BCE) est moins rigide que beaucoup d’autres et n’est pas pressée de relever ses taux d’intérêt extrêmement bas. Cependant, on s’attend à ce que la BCE mette fin à ses mesures de relance en juillet. Les décideurs de la BCE réclament une hausse de taux, la première en plus de dix ans. Elle doit resserrer sa politique, mais de façon plus lente et mesurée qu’ailleurs. Étonnamment, les prévisions du PIB de la région demeurent supérieures à 2 % pour cette année et l’année prochaine.
La guerre crée beaucoup d’incertitude dans les perspectives économiques européennes. La solidité des exportations de l’Europe vers la Chine pourrait être avantageuse. La croissance chinoise est anémique pour le moment, mais la banque centrale de Chine réduit les taux des prêts. Le moteur des exportations européennes sera stimulé si la Chine parvient à redonner un nouveau souffle à sa croissance.
La volatilité demeure élevée, mais elle s’atténue par rapport aux niveaux enregistrés au début de la guerre. Les indices de référence du Royaume-Uni et de l’Allemagne ont affiché des rendements relativement solides par rapport à leurs homologues mondiaux. Les indices Euro Stoxx 50, FTSE 100 et DAX ont enregistré des rendements respectifs de -0,4 %, de 1,1 % et de 2,1 %.
Chine – Lente reprise de la croissance
L’économie chinoise a été grandement perturbée en raison de la politique zéro COVID-19 du gouvernement. La production industrielle a plongé de 61,5 % à Shanghai en avril, et les bénéfices des sociétés industrielles chinoises ont chuté de 8,5 % par rapport à l’année précédente, leur plus important repli depuis mars 2020.
Beijing a admis qu’il serait difficile d’atteindre la cible de croissance annuelle de 5,5 % tout en luttant contre les éclosions d’Omicron. La croissance du PIB au premier trimestre a été de 4,8 %. Le président Xi Jinping et les décideurs se sont engagés à soutenir l’économie. Contrairement à ce qui se passe en Occident, la banque centrale chinoise assouplit sa politique. Elle a réduit les taux des prêts pour un deuxième mois d’affilée et a abaissé son taux de référence pour les prêts hypothécaires pour la première fois en deux ans. Autre bonne nouvelle : le confinement pour lutter contre la COVID-19 a officiellement pris fin le 1er juin à Shanghai.
Le marché boursier chinois, représenté par l’indice composé de Shanghai, a été l’un des plus performants à l’échelle mondiale. Il a progressé de 4,6 %, car les investisseurs ont fait fi des mesures de confinement pour se réjouir du maintien des politiques expansionnistes.
Le mot de la fin
Milton Friedman avait raison de dire que l’inflation est un phénomène monétaire. Il en établissait la causalité, mais non les conséquences. Les hausses rapides des prix, en particulier des produits essentiels comme les aliments et l’énergie, peuvent avoir des effets positifs et négatifs. Ces prix sont un indicateur des secteurs où il est nécessaire de diriger des capitaux : extraire plus de pétrole, accélérer l’approvisionnement en énergie de remplacement (qui sera, espérons-le, propre) et augmenter la superficie des cultures. Cependant, il ne faut jamais oublier que la hausse rapide des prix des aliments et de l’énergie a de graves conséquences humanitaires. La faim et les températures extrêmes provoqueront des souffrances disproportionnées au sein des populations les plus marginalisées de la planète. Le monde peut bénéficier de plus de bonté. Il s’agit d’une ressource inépuisable à exploiter sans modération.
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