À la fin de 2023, un média technologique canadien bien connu a discrètement changé de mains, mais pas pour se retrouver entre celles d’un conglomérat d’édition ou d’un investisseur institutionnel. Il a plutôt été vendu à un couple ayant de profondes racines entrepreneuriales.
Les deux anciens dirigeants d’une importante société technologique canadienne cotée en bourse ont pris une participation majoritaire (article en anglais seulement) dans une publication de premier plan sur les entreprises en démarrage et l’innovation. Par l’intermédiaire de leur bureau de gestion familiale de Toronto, ils investissent directement dans des entreprises, en partie pour financer de nouvelles idées.
Ce qui rend cette transaction notable, ce ne sont pas seulement les acteurs concernés, mais aussi ce dont elle témoigne. L’acquisition reflète une tendance croissante parmi les Canadiens très fortunés à utiliser les bureaux de gestion familiale pour acquérir des sociétés privées, plutôt que de compter uniquement sur les marchés publics ou les fonds institutionnels pour obtenir des rendements.
« C’est une tendance qui s’est accélérée au cours des dernières années, explique John Paniccia, vice-président et chef, Services-conseils aux entreprises et planification de la relève à BMO Gestion privée. Ils sont de plus en plus à la recherche d’investissements directs dans des sociétés privées. C’est une façon de se diversifier par rapport aux catégories d’actif traditionnelles et de réinvestir le patrimoine dans la collectivité et dans d’autres entreprises. »
Une tempête parfaite d’occasions
Plusieurs facteurs alimentent cette tendance. Tout d’abord, il y a la vague de relève imminente au Canada, qui met en mouvement des milliers de milliards de dollars en actifs d’entreprise.
« Les baby-boomers et leurs familles vendent des entreprises et génèrent un patrimoine important que les bureaux de gestion familiale cherchent à réinvestir, explique M. Paniccia.
Nous savons que 76 % des propriétaires d’entreprise canadiens prévoient de quitter leur entreprise au cours des dix prochaines années, ce qui représente plus de 2 000 milliards de dollars en actifs commerciaux qui devraient changer de mains, précise-t-il. En raison de leur nature même, ces occasions à venir généreront des transactions. »
Bon nombre de ces entreprises ne sont pas prêtes pour la relève, ce qui crée des occasions de sous-évaluations – exactement ce que les acheteurs avisés de bureaux de gestion familiale recherchent.
« Ils n’ont pas préparé adéquatement leur relève, explique M. Paniccia. Si un événement imprévu se produit, comme un problème de santé, ils seront dans une position de vulnérabilité limitant leurs options et entraînant souvent de basses valorisations. »
Entre-temps, la richesse continue de croître. À l’échelle mondiale, on s’attend (article en anglais seulement) à ce que la valeur des familles ayant un bureau de gestion familiale atteigne environ 9 500 milliards de dollars américains en 2030, une augmentation par rapport aux 5 500 milliards de dollars américains actuels. On estime que le total des actifs sous gestion au sein des bureaux de gestion familiale atteindra 5 400 milliards de dollars américains en cinq ans, en hausse par rapport aux 3 100 milliards de dollars américains actuels. « Compte tenu de l’augmentation du patrimoine familial au Canada, en particulier parmi les familles qui ont un bureau de gestion familiale, il y a davantage de capital disponible pour l’investissement sur les marchés publics et privés », indique M. Paniccia.
La chasse à la qualité
Le processus d’acquisition commence par ce que M. Paniccia appelle une « thèse de placement », dans le cadre de laquelle la famille, avec l’aide de ses conseillers, détermine ses principaux objectifs, les secteurs qui pourraient l’intéresser, ainsi que la taille cible des entreprises. Il peut également s’agir de définir les préférences géographiques, les niveaux de participation de la direction et la stratégie de répartition du capital.
Certains bureaux de gestion familiale souhaitent participer aux activités de façon pratique et ont des professionnels à l’interne pour les aider dans l’exploitation. D’autres préfèrent rester en arrière-plan et conserver la direction actuelle – souvent avec une rémunération incitative en actions pour assurer l’harmonisation.
« Nous constatons une professionnalisation accrue des bureaux de gestion familiale, explique M. Paniccia. Les bureaux de gestion familiale deviennent de plus en plus sophistiqués, avec des équipes plus importantes et davantage de ressources consacrées à une expertise interne avec des capacités de placement et de gestion directes. »
La recherche de transactions peut être effectuée par l’intermédiaire de plusieurs circuits. Les conseillers en gestion de patrimoine et en services bancaires aux grandes entreprises de BMO, par exemple, travaillent en étroite collaboration avec les propriétaires d’entreprise qui se préparent à la vente. Pour la recherche, il est également possible de faire appel à des avocats et à des comptables de confiance, ainsi qu’à sociétés de fusions et d’acquisitions ayant une expertise dans le segment des entreprises de taille moyenne.
« Tout le monde veut ces sociétés de “type A”, souligne M. Paniccia; celles-ci comprennent des activités qui ont une équipe de direction solide, des flux de trésorerie stables et solides, un potentiel de croissance élevé, des revenus et une clientèle diversifiés, et un marché qui est propice à une croissance future durable.
La zone idéale
Contrairement au capital-investissement traditionnel, qui a tendance à être lié à des cycles de placement de cinq ans, les bureaux de gestion familiale s’impliquent habituellement à long terme. Les périodes de détention peuvent durer une décennie, ou parfois indéfiniment, à condition que les entreprises génèrent des rendements acceptables.
Cette stratégie leur permet de se concentrer sur la création de valeur à long terme plutôt que sur des sorties rapides. Elle oriente également la sélection des transactions. Bien que la taille des transactions varie considérablement, le segment inférieur des moyennes entreprises est particulièrement attrayant pour les bureaux de gestion familiale lors de la détermination des cibles d’acquisitions : « C’est la zone idéale », précise-t-il.
« Les bureaux de gestion familiale ont du capital, et ce capital est assorti d’une capacité d’emprunt, explique M. Paniccia. Ils n’investissent pas la totalité des capitaux propres. Ils utiliseront le levier financier pour optimiser le rendement total du capital investi et ils conserveront le contrôle. »
L’instinct entrepreneurial
Pour de nombreuses familles très fortunées, l’achat d’une entreprise est un retour aux instincts de développement des affaires qui ont contribué à générer leur patrimoine au départ.
« C’est un élément de cet esprit entrepreneurial, explique M. Paniccia. Ils ont bâti leur patrimoine par divers moyens, y compris au moyen d’entreprises privées, ils ont réussi dans la vente et se rendent compte qu’il y a beaucoup de potentiel lorsqu’on trouve la bonne entreprise. »
Pour les propriétaires qui cherchent à vendre, les bureaux de gestion familiale apportent plus que du capital. Ils apportent également de la patience, des horizons de placement à long terme, des renseignements opérationnels et, souvent, une connaissance approfondie du secteur. Certains supervisent activement les sociétés de leur portefeuille. D’autres comptent sur des professionnels pour repérer et gérer les transactions avant d’obtenir l’approbation finale de la famille.
« Les bureaux de gestion familiale cherchent souvent à mieux contrôler leurs placements et préfèrent les stratégies personnalisées, ce qui en fait des partenaires appropriés pour les sociétés privées », indique M. Paniccia.
« C’est très gratifiant de voir comment ces familles mènent leurs activités, ajoute-t-il. Mais il y a aussi un élément de risque. Il est essentiel de travailler avec les bons conseillers qui ont l’expérience et l’expertise nécessaires pour orienter le processus et prendre des décisions éclairées. »