Le Jour de la Terre approche à grands pas, et bien que la planète ait connu l’année la plus chaude jamais enregistrée, le discours sur la durabilité n’a jamais été aussi conflictuel.
En 2024, plusieurs fonds négociés en bourse (FNB) axés sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont été retirés, et un certain nombre de sociétés très médiatisées ont réduit leurs politiques de durabilité (articles en anglais seulement). Mais le changement le plus notable s’est produit à Washington, où la nouvelle administration américaine a annulé (article en anglais seulement) plusieurs politiques climatiques et règlements environnementaux fédéraux depuis son arrivée au pouvoir en janvier.
Cela annonce-t-il la fin des facteurs ESG? Non, le travail en matière de durabilité est toujours en cours dans la plupart des organisations. Le thème global semble être la résilience et le pragmatisme – la résilience face aux changements climatiques et le pragmatisme à l’égard de la durabilité en tant que pratique d’affaires.
« Beaucoup d’entreprises de transition énergétique qui ont continué à croître, indépendamment de l’incertitude politique, ont toujours dit ne pas vouloir dépendre du soutien des politiques », explique Jonathan Hackett, premier directeur général et chef, Finance durable à BMO Marchés des capitaux.
Voici quelques-unes des tendances notables en matière de durabilité qui devraient se poursuivre cette année, malgré la récente résistance liée à des orientations politiques.
Redéfinir la durabilité et les facteurs ESG
L’un des changements que les organismes de réglementation et les investisseurs accueilleront probablement favorablement est que les entreprises sont plus précises dans leur langage et qu’elles ne se contentent pas de faire référence à un « travail lié aux facteurs ESG », explique Melissa Fifield, première directrice générale et chef, Institut pour le climat de BMO. Au Canada, cela est probablement attribuable aux récentes lois fédérales sur l’écoblanchiment, qui visent à empêcher les entreprises de faire des déclarations environnementales non fondées au sujet de leurs produits et de leurs activités commerciales.
« De façon plus générale, nous constatons une évolution des facteurs ESG, explique-t-elle. Les entreprises sont moins enclines à utiliser de façon générique cet acronyme, qui est devenu polarisant pour certains. Mais le travail que les entreprises font pour gérer le risque environnemental et social lié à leurs activités se poursuit. »
L’un des défis auxquels les entreprises, les investisseurs et les décideurs ont fait face dans le secteur des facteurs ESG et de la durabilité est le manque de clarté sur ce que ces mots et d’autres (comme « vert » et « carboneutre ») signifient. La confusion qui en a résulté a fait en sorte qu’il a été beaucoup plus facile pour certains chefs de la direction de prétendre à des prouesses ESG lorsque leurs entreprises étaient respectueuses de l’environnement, mais peut-être pas socialement responsables. Il était également plus facile pour les entreprises de faire de grandes déclarations en matière de durabilité sans avoir à les appuyer.
Par exemple, M. Hackett souligne que les gens se demandaient si une entreprise pouvait se dire durable si elle ne travaillait pas réellement à atteindre la carboneutralité, ce qui signifie qu’elle réduit le plus possible ses émissions de carbone et compense toutes les émissions restantes par l’élimination du carbone.
« Toutes ces définitions ont été mélangées, à la fois par les partisans et par ceux qui les critiquent, ajoute-t-il. Ce que nous constatons, c’est l’éclatement de tous ces concepts qui ne sont plus sous un seul monolithe. »
La valeur plutôt que les valeurs
Les entreprises adoptent une approche plus pragmatique à l’égard des pratiques durables. Les organisations ne se tournent plus vers l’énergie renouvelable pour obtenir une validation ou des félicitations; elles le font parce que c’est logique sur le plan économique.
Par exemple, lors de la 34e conférence annuelle mondiale de BMO sur le secteur des mines, des métaux et des minéraux critiques, en mars, Andrew Forrest, président exécutif de Fortescue, a expliqué la raison pour laquelle il allait de l’avant avec un investissement de 6,2 milliards de dollars américains visant à éliminer l’empreinte carbone de l’entreprise minière.
Dans son discours d’ouverture, il a clairement indiqué que la position de l’entreprise en matière d’énergie verte était fondée sur l’économie, et non sur l’idéologie. Selon lui, l’élimination des coûts des combustibles fossiles de Fortescue devrait permettre d’économiser des centaines de millions de dollars chaque année. « Ce n’est en fin de compte qu’une question de dollars et de cents », a-t-il dit.
Selon M. Hackett, ce changement de pensée est notable. « Il y avait un méli-mélo auparavant, où les gens confondaient les valeurs et la valeur et croyaient que l’économie récompenserait les entreprises qui font ce qui est bien, explique-t-il. Oui, les rénovations écoénergétiques peuvent parfois avoir une incidence sur la tarification du carbone, mais souvent, consommer moins d’énergie est tout simplement bon pour votre entreprise. »
De la même façon, les entreprises du secteur de la durabilité – des panneaux solaires aux véhicules électriques et plus encore – réussissent parce qu’elles ont surmonté cette « prime verte » ou tous les coûts supplémentaires qui découlent du choix d’une solution de rechange « verte ». Lorsqu’un produit de qualité supérieure sur le plan environnemental obtient un rendement égal (ou supérieur) à celui de ses concurrents habituels pour presque le même prix, la voie de l’adoption à grande échelle s’ouvre.
« Nous n’adoptons pas la durabilité simplement par vertu, mais parce qu’elle est logique sur le plan des affaires, et c’est ce qui permet d’assurer sa pérennité », explique Mme Fifield.
Améliorer les chaînes d’approvisionnement
Un nombre croissant d’entreprises mettent l’accent sur leurs chaînes d’approvisionnement afin d’accroître la résilience et la stabilité de leurs activités face aux événements météorologiques extrêmes et aux troubles géopolitiques. Étant donné que la plupart des émissions de carbone des entreprises proviennent de leurs chaînes d’approvisionnement, il s’agit également d’une occasion de filtrer les nouveaux fournisseurs en fonction de leurs pratiques en matière de durabilité afin d’atténuer les risques au moment de faire un choix.
BMO a élaboré un programme d’approvisionnement durable qui exige que les fournisseurs aient en place des pratiques et des politiques en matière de risque environnemental et social. Le programme vise également à aider BMO à « réaliser son ambition climatique d’être le principal partenaire de ses clients dans la transition vers un monde carboneutre ». Mme Fifield souligne que BMO reconnaît l’influence qu’il peut avoir sur la performance des fournisseurs en matière d’émissions. Si une grande organisation demande à ses fournisseurs de mesurer ses émissions de gaz à effet de serre et que vous voulez que votre entreprise soit un fournisseur de cette organisation, vous commencerez à mesurer ces émissions.
« Même si cela ne faisait pas nécessairement partie de votre stratégie d’affaires et que vous n’êtes pas réglementé pour le faire, explique Mme Fifield, si vos clients le demandent, c’est un assez bon incitatif. »
Trouver l’équilibre entre le potentiel de l’IA et les défis liés à l’IA
Les entreprises se tournent vers l’intelligence artificielle (IA) pour trouver de nouvelles façons de réduire leur consommation d’énergie et de stimuler l’innovation dans le domaine de la durabilité, mais la technologie présente également ses propres défis. Le volume d’énergie qu’elle consomme alors qu’elle s’efforce d’atteindre ces objectifs signifie que nous ne savons pas encore si l’IA aura un effet positif net ou un effet négatif net, surtout compte tenu du fait que sa demande d’énergie continue de croître à mesure que le secteur croît.
M. Hackett souligne que les prévisions de croissance de l’IA ont été très peu fiables et que de nombreuses personnes supposent qu’à mesure que la technologie évoluera, elle deviendra plus efficace dans sa consommation d’énergie. « On ne sait pas avec certitude si cette courbe d’efficience sera confirmée et si la courbe de la demande correspondra ou non », explique-t-il.
Malgré tout, la quête visant à s’assurer que la production d’énergie peut suivre le rythme de la demande d’IA alimente certaines innovations technologiques qui, selon M. Hackett, sont intéressantes du point de vue de la transition énergétique. Il souligne le développement de petits réacteurs modulaires (PRM), un nouveau type de réacteur nucléaire moins coûteux et plus rapide à construire, qui peut être adapté pour répondre non seulement à la demande d’IA, mais aussi à la demande énergétique en général.
« Cette impulsion à l’égard de l’IA a créé une véritable croissance et une activation réelle des stratégies qui peuvent mener au déploiement rapide des PRM, du stockage d’énergie et d’autres technologies », explique-t-il.
Démocratiser la transition énergétique
Enfin, le fil conducteur de ces tendances est de s’assurer que tout le monde est prêt à relever les défis auxquels nous ferons face à mesure que le climat continuera de changer et de provoquer des chocs partout dans le monde.
« Nous avons besoin que plus de gens se voient dans cette transition. À ce stade-ci, notre climat change considérablement et nous sommes sur une voie que personne ne peut prévoir, explique Mme Fifield. Il s’agit de composer avec cette nouvelle réalité et de s’y adapter. Et plus les gens voient le rôle qu’ils peuvent jouer dans un avenir florissant et les occasions d’affaires qui y sont associées, mieux nous nous portons tous. »