L’effet de surprise causé par la décision du gouvernement fédéral d’augmenter le taux d’inclusion des gains en capital dans le budget de 2024 s’est en grande partie dissipé, mais les investisseurs, les entrepreneurs et leurs conseillers doivent maintenant déterminer les incidences que ce changement pourrait avoir sur leurs portefeuilles.
La grande question que la plupart des observateurs se posent est de savoir s’ils doivent réaliser des gains avant le 25 juin, date à laquelle il est proposé que le taux d’inclusion des gains en capital passe de 50 % à 66,67 %. (Cependant, pour les particuliers, tout ce qui est inférieur au seuil de 250 000 $ continuera d’être imposé au taux d’inclusion actuel de 50 %.) La réponse dépend en partie si vous vendez l’actif en tant que particulier ou dans le cadre d’une société.
Incidences pour les particuliers
Même s’il peut être tentant pour ceux qui ont accumulé plus de 250 000 $ de gains en capital non réalisés dans des titres négociables sur un marché de vendre maintenant et de réaliser des gains au taux d’inclusion inférieur, John Waters, vice-président et directeur général, Services-conseils en fiscalité à BMO Gestion privée, est d’avis que, pour la plupart des gens, il est préférable de ne rien faire et de conserver ces titres plutôt que de les liquider et d’en réinvestir le produit.
Supposons que vous ayez un portefeuille de deux millions de dollars, avec un million de dollars de gains en capital non réalisés. Si vous vendiez la totalité de ce portefeuille aujourd’hui, vous payeriez environ 250 000 $ d’impôt sur les gains en capital au taux d’imposition marginal le plus élevé, ce qui vous laisserait 1,75 million de dollars à réinvestir dans un portefeuille d’actifs semblable. En supposant un taux de rendement annuel de 5 %, d’ici 2036, la valeur totale du portefeuille pourrait s’élever à près de 3,14 millions de dollars, soit une valeur après impôt de près de 2,7 millions de dollars après la liquidation (selon le taux d’inclusion de 2/3 proposé).
En comparaison, si vous conservez les actifs du portefeuille pendant la même période de 12 ans et que vous obteniez le même taux de rendement, la valeur de votre portefeuille serait de près de 3,6 millions de dollars. Si vous avez reporté la réalisation des gains en capital de votre portefeuille jusqu’en 2036, vous pourriez avoir près de 2,75 millions de dollars après impôt, soit près de 50 000 $ de plus que si vous aviez liquidé votre portefeuille avant la date limite du 25 juin de cette année.
« Il y a un point mort où il est préférable de ne rien faire et de conserver vos placements en raison de la valeur temps de l’argent investi et de l’accumulation qui en résulte », explique M. Waters. « Dans l’exemple ci-dessus, vous partiriez avec une certaine longueur d’avance, parce que vous investissez la totalité des deux millions de dollars pour la croissance future, alors que si vous vendiez, vous payeriez de l’impôt et investiriez un montant inférieur. »
Le taux d’inclusion des gains en capital jusqu’à 250 000 $ réalisés annuellement par un particulier demeurera à son niveau actuel de 50 %. Par conséquent, Waters souligne également qu’il existe diverses stratégies de planification fiscale que les particuliers peuvent utiliser pour rester sous le seuil de 250 000 $. Par exemple, vous pouvez choisir le moment de la vente de vos actifs de façon à ne pas être assujetti à un taux d’inclusion plus élevé chaque année. Même si les détails exacts sur le fonctionnement du nouveau taux d’inclusion n’ont pas été révélés, il est probable que le seuil de 250 000 $ s’appliquera à toutes les personnes, ce qui signifie qu’il pourrait y avoir des occasions de fractionnement du revenu entre conjoints. « La plupart des gens voudront donc maintenir le statu quo », explique-t-il.
Cependant, dans le cas d’un chalet ou d’une résidence secondaire, il pourrait être logique de vendre maintenant afin de ne pas payer plus de gains en capital plus tard, souligne M. Waters. « Si vous entrevoyez de transférer une propriété à un de vos enfants par une vente ou un don, ou que vous avez déjà amorcé ce processus, vous devriez peut-être envisager d’accélérer les choses », explique-t-il.
Cependant, se départir rapidement d’une propriété peut présenter d’autres défis. Même au taux d’inclusion inférieur, vous aurez tout de même besoin d’argent, dont vous disposez peut-être ou non, pour payer l’impôt exigible ainsi que d’autres montants, comme des droits de cession immobilière. De plus, si vous transférez une propriété, comme un chalet, à un de vos enfants mais que vous voulez encore l’utiliser, vous devrez convenir des droits d’accès avec le membre de la famille qui en est maintenant le propriétaire.
Points à considérer dans le cas des sociétés
Pour les propriétaires d’entreprise, il est beaucoup plus compliqué de décider à quel moment réaliser des gains, affirme Dante Rossi, directeur général, Planification fiscale à BMO Gestion privée. Bien qu’il soit toujours bon pour quiconque de parler à un fiscaliste avant de prendre une décision, en raison de la façon dont le revenu est imposé à l’intérieur et à l’extérieur d’une société, les entrepreneurs doivent faire preuve d’une grande prudence lorsqu’ils prennent des décisions financières. « Étant donné que la société est un contribuable distinct de son actionnaire, elle gagne un revenu séparément, ce qui entraîne deux niveaux d’imposition sur une même source de revenus », affirme M. Rossi.
Certains propriétaires de sociétés de portefeuille, affirme-t-il, envisagent de liquider leurs sociétés avant le 25 juin et de distribuer le produit après impôt à leurs comptes de particulier. De cette façon, ils peuvent avoir accès au taux d’inclusion des gains en capital de 50 % pour les particuliers à l’égard des gains en capital ne dépassant pas 250 000 $ par année, ce qui leur donnerait plus de souplesse pour réaliser des gains.
Bien qu’il s’agisse d’une stratégie judicieuse pour certains, ce n’est pas le cas pour tout le monde et elle doit être examinée attentivement, en raison de l’impôt des sociétés et des particuliers qu’entraînerait une liquidation. Rossi compare cela au retrait de tous vos actifs d’un compte REER en même temps. « La liquidation de la société mettrait fin au report de l’impôt sur le revenu des particuliers », explique-t-il. « C’est comme vider un REER d’un seul coup – ce n’est peut-être pas la meilleure idée. »
Des changements pourraient également être apportés à la façon dont le compte de dividendes en capital (CDC) est crédité. On s’attend à ce que le taux d’inclusion au CDC passe d’une demie à un tiers après le 25 juin, ce qui se traduira par « une diminution des montants portés au CDC, lequel permet de verser des dividendes non imposables aux actionnaires résidents du Canada », selon M. Rossi. « Cela pourrait être un autre facteur incitant à réaliser maintenant une partie des gains sur la vente de titres au sein d’une société de portefeuille. »
Si vous possédez une société professionnelle, vous devriez aussi consulter un conseiller, car la planification fiscale devient encore plus complexe. Un avantage important d’avoir une société professionnelle, ou même une petite entreprise, est que le revenu d’entreprise active inférieur à 500 000 $ est imposé à un taux préférentiel – seulement 9 % au fédéral. Toutefois, cet avantage est réduit si vous touchez un revenu passif de plus de 50 000 $ au sein de la société (ou d’un groupe de sociétés liées). Si vous touchez un revenu passif de 150 000 $, vous ne profiterez pas du taux d’imposition préférentiel applicable au revenu actif inférieur à 500 000 $, affirme M. Rossi.
Jusqu’à présent, seulement la moitié des gains en capital réalisés serait inclus dans le calcul du revenu passif, mais après le 25 juin, cette proportion passera à deux tiers. « Cela aura une plus grande incidence sur la déduction accordée aux petites entreprises, ce qui pourrait réduire l’avantage du taux d’imposition des petites entreprises », explique-t-il.
Un taux d’inclusion plus élevé des gains en capital peut aussi avoir des répercussions sur la communauté des organismes de bienfaisance – par exemple, il pourrait maintenant être plus avantageux de donner des titres cotés en bourse ayant pris de la valeur qui sont détenus par une société plutôt que par un particulier, si l’on tient compte de l’incidence de l’impôt minimum de remplacement qui ne s’applique qu’aux particuliers; affirme M. Rossi. C’est pourquoi nous vous recommandons fortement d’avoir une discussion approfondie avec votre conseiller sur l’incidence que les changements pourraient avoir sur votre stratégie de dons de bienfaisance et les économies d’impôt afférentes.
Enfin, puisque les changements ne sont, à ce stade-ci, que des propositions et qu’aucun avant-projet de loi n’a été publié, il faut faire preuve de prudence avant de procéder à des opérations à des fins fiscales, jusqu’à ce que les détails concernant l’application précise de ces propositions soient connus, ce qui souligne davantage la nécessité de consulter vos conseillers fiscaux pour obtenir de l’aide dans votre situation.